Jean Wycke
La récente création d'un site consacré à ce quartier de Dunkerque-Rosendael, me donne l'occasion de partager ce texte. Jean Wycke l'avait rédigé à la demande de ses enfants, pendant une période de convalescence.
Il y aborde sa formation débutée en 1926 à l'académie de musique de Dunkerque. Après les deux années, obligatoires, de solfège, il peut enfin entrer dans la classe de piano dirigée par Alydor Olivier, puis dans la classe de violon de Louis Dondeyne. En 1937 il est admis dans l'orchestre symphonique dunkerquois "Les Artistes Musiciens" au pupitre de second violon. Il est appelé au service militaire en juillet 1939, au 110e RI, à Dunkerque. Il y est fait prisonnier le 4 juin 1940. Après un camping d'environ deux semaines dans les dunes situées entre le boulevard Verley et l'avenue des Bains actuels, il est envoyé au Stalag VIII A. Il est libéré en avril 1945 par les Américains.
[…] Le premier dimanche de juillet 1947 je débutais à l’Excentric-Moulins et je ne me doutais pas ce jour là que j’y passerais tous mes dimanches pendant plus de quinze ans. En 1947, Rosendael et particulièrement ce quartier Excentrique, se situait quasiment à la campagne. Quelques maisons d’un style particulier entouraient le dancing, mais les rues Dumez, Albert Cys et Albert Mahieu ne contenaient que quelques maison dont un café, le Val d’Or, qui servait souvent d’abreuvoir à nos danseurs assoiffés. Il ne pouvaient pas se permettre de se désaltérer au dancing, les prix des consommations y étant probablement trop élevés pour leur bourse. Dans l’enceinte de l’établissement mais en dehors de la salle de dancing, les propriétaires avaient aménagé une piste en plein air et il n’était pas rare en été d’y voir des couples évoluer. Des bosquets de verdure étaient disséminés autour de cette piste, s’ils avaient été dotés de parole, que d’histoires auraient-ils pu raconter…
Deux catégories de danseurs fréquentaient assidument l’Excentric-Moulins, les jeunes gens remplissaient la salle dès le début de soirée entre 17h et 21h. un vide se produisait alors mais très vite des couples plus âgés arrivaient et terminaient la soirée en notre compagnie. Nous n’allions que rarement au delà de minuit. Le père Reynaert n’aimait guère nous payer d’heures supplémentaires, mais j’avoue qu’après sept heures de musique ininterrompue, nous n’étions pas fâchés d’arrêter.
Nous étions six musiciens au début. C’est là que je fis la connaissance de Roger Naert, devenu par la suite une vedette dunkerquoise de jazz. L’un d’entre nous, saxophoniste, avait l’habitude chaque dimanche vers 21h de casser une petite croûte, ne quittant pas sa place. Entre deux danses, il sortait de sa serviette une bouteille thermos pleine de café chaud, un sandwich au pâté, un autre au fromage et terminait son repas par une pomme ou une orange. Nullement gêné par les quolibets que lui lançaient les danseurs et ses collègues musiciens, il terminait ce festin en se roulant une cigarette de tabac gris. Il reprenait son saxo dont, trois fois sur quatre, le pavillon avait été rempli d’un tas d’objets hétéroclites par son voisin de pupitre. Il lui fallait encore dix bonnes minutes pour extirper tout cet attirail et se remettre enfin à travailler.
Nous n’étions pas tous comme lui, heureusement, car les clients n’auraient pas tardé à disparaître au profit d’autres dancings. Ceux-ci étaient nombreux dans les années ’50 et tous étaient remplis car il n’y avait rien à Dunkerque pour se distraire sauf un cinéma “Le Palais Jean-Bart”. C’était la belle époque pour les musiciens, il ne manquait pas de travail, le répertoire était varié et agréable et je m’amusais certainement autant, sinon plus, que les danseurs. […]
En 1949, la formation de l’Excentric-Moulins se rétrécit. Nous nous sommes retrouvés à quatre musiciens, dont Jean Legrand, dit “Johnny”. Il chantait très agréablement. Longtemps il fut la vedette de notre ensemble et attira une nombreuse clientèle. C’était la coqueluche de l’Excentric. C’est avec lui que je perfectionnais mes accompagnements. Il chantait un refrain, le piano en reprenait un autre simplement soutenu par une basse et une batterie. Les slows, boléros et autres succès maintenaient longtemps les danseurs sur la piste à la grande fureur du père Reynaert qui estimait alors que nos séries étaient trop longues et que lorsqu’ils dansaient, les clients ne consommaient pas. Lorsque la série des tangos arrivait, le fils Reynaert venait en renfort et se mettait au piano pendant que je jouait du violon. Même formation pour les pasodobles, je n’avais pas le temps de m’ennuyer. […]
Cela dura cinq ou six ans, [… puis] notre groupe fut disloqué et, resté seul, j’étais chargé par le père Reynaert d’en former un autre. Plusieurs musiciens se succédèrent alors, parmi ceux-ci, Bernard Storck, il chantait agréablement et jouait de la clarinette et du saxo. C’était un charmeur et il plaisait au public. J’avais fait la connaissance entre temps de Marceau Reys, c’était l’un des meilleurs accordéonistes de la région, il jouait également de la batterie et de la clarinette. Très souvent j’étais sollicité pour participer aux bals de carnaval ou aux soirées qui se renouvelaient chaque année et c’est ainsi que je fis la connaissance de la plus plupart des musiciens de la région : Léonce Rose, Gérard Talleux, Nèche Vermet, Paul Garein, Edmond Reynot, etc. Si l’un d’eux venait parfois le dimanche en balade à l’Excentric accompagné de son épouse ou à l’époque de sa fiancée, il ne pouvait échapper à la tentation de la laisser un moment pour venir se joindre à nous et de donner à notre formation un timbre supplémentaire. Il jouait un morceau ou deux et retournait ensuite rejoindre la délaissée, pas toujours très contente de cet abandon momentané. Notre effectif normal de quatre se trouvait parfois doublé par l’apport momentané de quelques copains venus prendre un verre avant de rentrer chez eux. Nous pouvions ainsi aborder un répertoire tout à fait différent. Le temps semblait passer plus vite et les copains bénévoles bénéficiaient ainsi d’une tournée d’apéros offerts par le patron.
J’avais la charge de remplir la feuille de droit d’auteur, corvée dont je ne serais volontiers passée. Chaque morceau joué devait être inscrit, mais il m’arrivait parfois d’en oublier, voire même d’en rajouter. Un dimanche où j’avais été particulièrement négligent, l’Excentric fut contrôlé et passible d’une amende. Je me pointais à la SACEM et j’eu droit à un rappel verbal au règlement.
La piste de danse, magnifique parquet ciré, commençait, au fil des années, à souffrir. Les talons pointus des filles avaient largement contribué à ce déclin et parfois le père Reynaert, muni d’un marteau et de quelques pointes, venait au milieu des couples de danseurs s’attaquer à quelques menues réparations. L’orchestre bénéficiait alors d’un second percussionniste dont le rythme n’avait rien à voir avec celui du morceau interprété. Le trouble était jeté aussi bien chez les danseurs que chez les musiciens. Nous arrêtions alors spontanément et debout, nous applaudissions le soliste improvisé, rejoints aussitôt par les danseurs. Notre patron allait alors remiser ses instruments, remettant au lendemain la réparation de son parquet. Et la danse reprenait.
l'orchestre de l'Excentric-Moulins en 1954
de G à D, Jean Reynaert, Edmond Reynot, Marceau Reys
Robert Groux et Jean Wycke
collection personnelle
[…] Durant toutes ces années, j’étais resté fidèle à l’Excentric et après le départ de Bernard Storck, je formais un autre quatuor : Edmond Reynot, Robert Groux, le fidèle Marceau Reys et moi-même animions les soirées dançantes dominicales. C’était alors la grande vogue du cha-cha-cha où les danseurs se tenaient par groupes et évoluaient ainsi par rangées de 20 à 30, un petit tour en avant, un petit tour en arrière. Du haut de notre podium, c’était pour nous un spectacle amusant et nos danseurs en redemandaient souvent. […]
L’ambiance à l’Excentric, comme d’ailleurs dans les autres dancings dunkerquois, commença un peu à la fois à décliner, vers les années 63-64 commençait la période du rock, l’apparition des guitares électriques, des groupes tonitruants de jeunes gens braillant en anglais et revêtus de déguisements multicolores dignes de notre carnaval. 1968 approchait et déjà la révolution commençait […] L’Excentric-Moulins fermait ses portes et ne devait d’ailleurs jamais les rouvrir. […]
Témoignage de Jean Wycke (1919-2002), extrait de “Souvenirs, 60 années de musique”, tirage limité, Dunkerque, 1987
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collection personnelle
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Jean Reynaert, directeur de l'Excentric-Moulins, est aussi compositeur
La rumba des Pantins
par l'orchestre musette de Jo Reno
Le soir dans les faubourgs
paroles de Félicien Ouvry, musique de Jean Reynaert
interprétée par Arlette Rucart
collection personnelle
Merci de tout cœur, Christian, pour ce bel hommage rendu à mon père.
RépondreSupprimerAmicalement.
Françoise.
Bonjour Françoise, je découvre votre message seulement aujourd'hui, merci pour votre commentaire
SupprimerMon très cher parrain ❤️❤️
RépondreSupprimerPas oublié de tous...
Supprimermerci pour votre visite et votre commentaire
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