mercredi 23 août 2017

Jean Wycke, pianiste de l’Excentric-Moulins


Jean Wycke


La récente création d'un site consacré à ce quartier de Dunkerque-Rosendael, me donne l'occasion de partager ce texte. Jean Wycke l'avait rédigé à la demande de ses enfants, pendant une période de convalescence.
Il y aborde sa formation débutée en 1926 à l'académie de musique de Dunkerque. Après les deux années, obligatoires, de solfège, il peut enfin entrer dans la classe de piano dirigée par Alydor Olivier, puis dans la classe de violon de Louis Dondeyne. En 1937 il est admis dans l'orchestre symphonique dunkerquois "Les Artistes Musiciens" au pupitre de second violon. Il est appelé au service militaire en juillet 1939, au 110e RI, à Dunkerque. Il y est fait prisonnier le 4 juin 1940. Après un camping d'environ deux semaines dans les dunes situées entre le boulevard Verley et l'avenue des Bains actuels, il est envoyé au Stalag VIII A. Il est libéré en avril 1945 par les Américains.

[…] Le premier dimanche de juillet 1947 je débutais à l’Excentric-Moulins et je ne me doutais pas ce jour là que j’y passerais tous mes dimanches pendant plus de quinze ans. En 1947, Rosendael et particulièrement ce quartier Excentrique, se situait quasiment à la campagne. Quelques maisons d’un style particulier entouraient le dancing, mais les rues Dumez, Albert Cys et Albert Mahieu ne contenaient que quelques maison dont un café, le Val d’Or, qui servait souvent d’abreuvoir à nos danseurs assoiffés. Il ne pouvaient pas se permettre de se désaltérer au dancing, les prix des consommations y étant probablement trop élevés pour leur bourse. Dans l’enceinte de l’établissement mais en dehors de la salle de dancing, les propriétaires avaient aménagé une piste en plein air et il n’était pas rare en été d’y voir des couples évoluer. Des bosquets de verdure étaient disséminés autour de cette piste, s’ils avaient été dotés de parole, que d’histoires auraient-ils pu raconter…
Deux catégories de danseurs fréquentaient assidument l’Excentric-Moulins, les jeunes gens remplissaient la salle dès le début de soirée entre 17h et 21h. un vide se produisait alors mais très vite des couples plus âgés arrivaient et terminaient la soirée en notre compagnie. Nous n’allions que rarement au delà de minuit. Le père Reynaert n’aimait guère nous payer d’heures supplémentaires, mais j’avoue qu’après sept heures de musique ininterrompue, nous n’étions pas fâchés d’arrêter.
Nous étions six musiciens au début. C’est là que je fis la connaissance de Roger Naert, devenu par la suite une vedette dunkerquoise de jazz. L’un d’entre nous, saxophoniste, avait l’habitude chaque dimanche vers 21h de casser une petite croûte, ne quittant pas sa place. Entre deux danses, il sortait de sa serviette une bouteille thermos pleine de café chaud, un sandwich au pâté, un autre au fromage et terminait son repas par une pomme ou une orange. Nullement gêné par les quolibets que lui lançaient les danseurs et ses collègues musiciens, il terminait ce festin en se roulant une cigarette de tabac gris. Il reprenait son saxo dont, trois fois sur quatre, le pavillon avait été rempli d’un tas d’objets hétéroclites par son voisin de pupitre. Il lui fallait encore dix bonnes minutes pour extirper tout cet attirail et se remettre enfin à travailler.
Nous n’étions pas tous comme lui, heureusement, car les clients n’auraient pas tardé à disparaître au profit d’autres dancings. Ceux-ci étaient nombreux dans les années ’50 et tous étaient remplis car il n’y avait rien à Dunkerque pour se distraire sauf un cinéma “Le Palais Jean-Bart”. C’était la belle époque pour les musiciens, il ne manquait pas de travail, le répertoire était varié et agréable et je m’amusais certainement autant, sinon plus, que les danseurs. […]
En 1949, la formation de l’Excentric-Moulins se rétrécit. Nous nous sommes retrouvés à quatre musiciens, dont Jean Legrand, dit “Johnny”. Il chantait très agréablement. Longtemps il fut la vedette de notre ensemble et attira une nombreuse clientèle. C’était la coqueluche de l’Excentric. C’est avec lui que je perfectionnais mes accompagnements. Il chantait un refrain, le piano en reprenait un autre simplement soutenu par une basse et une batterie. Les slows, boléros et autres succès maintenaient longtemps les danseurs sur la piste à la grande fureur du père Reynaert qui estimait alors que nos séries étaient trop longues et que lorsqu’ils dansaient, les clients ne consommaient pas. Lorsque la série des tangos arrivait, le fils Reynaert venait en renfort et se mettait au piano pendant que je jouait du violon. Même formation pour les pasodobles, je n’avais pas le temps de m’ennuyer. […] 
Cela dura cinq ou six ans, [… puis] notre groupe fut disloqué et, resté seul, j’étais chargé par le père Reynaert d’en former un autre. Plusieurs musiciens se succédèrent alors, parmi ceux-ci, Bernard Storck, il chantait agréablement et jouait de la clarinette et du saxo. C’était un charmeur et il plaisait au public. J’avais fait la connaissance entre temps de Marceau Reys, c’était l’un des meilleurs accordéonistes de la région, il jouait également de la batterie et de la clarinette. Très souvent j’étais sollicité pour participer aux bals de carnaval ou aux soirées qui se renouvelaient chaque année et c’est ainsi que je fis la connaissance de la plus plupart des musiciens de la région : Léonce Rose, Gérard Talleux, Nèche Vermet, Paul Garein, Edmond Reynot, etc. Si l’un d’eux venait parfois le dimanche en balade à l’Excentric accompagné de son épouse ou à l’époque de sa fiancée, il ne pouvait échapper à la tentation de la laisser un moment pour venir se joindre à nous et de donner à notre formation un timbre supplémentaire. Il jouait un morceau ou deux et retournait ensuite rejoindre la délaissée, pas toujours très contente de cet abandon momentané. Notre effectif normal de quatre se trouvait parfois doublé par l’apport momentané de quelques copains venus prendre un verre avant de rentrer chez eux. Nous pouvions ainsi aborder un répertoire tout à fait différent. Le temps semblait passer plus vite et les copains bénévoles bénéficiaient ainsi d’une tournée d’apéros offerts par le patron. 
J’avais la charge de remplir la feuille de droit d’auteur, corvée dont je ne serais volontiers passée. Chaque morceau joué devait être inscrit, mais il m’arrivait parfois d’en oublier, voire même d’en rajouter. Un dimanche où j’avais été particulièrement négligent, l’Excentric fut contrôlé et passible d’une amende. Je me pointais à la SACEM et j’eu droit à un rappel verbal au règlement.
La piste de danse, magnifique parquet ciré, commençait, au fil des années, à souffrir. Les talons pointus des filles avaient largement contribué à ce déclin et parfois le père Reynaert, muni d’un marteau et de quelques pointes, venait au milieu des couples de danseurs s’attaquer à quelques menues réparations. L’orchestre bénéficiait alors d’un second percussionniste dont le rythme n’avait rien à voir avec celui du morceau interprété. Le trouble était jeté aussi bien chez les danseurs que chez les musiciens. Nous arrêtions alors spontanément et debout, nous applaudissions le soliste improvisé, rejoints aussitôt par les danseurs. Notre patron allait alors remiser ses instruments, remettant au lendemain la réparation de son parquet. Et la danse reprenait.

l'orchestre de l'Excentric-Moulins en 1954
de G à D, Jean Reynaert, Edmond Reynot, Marceau Reys
 Robert Groux et Jean Wycke
collection personnelle


[…] Durant toutes ces années, j’étais resté fidèle à l’Excentric et après le départ de Bernard Storck, je formais un autre quatuor : Edmond Reynot, Robert Groux, le fidèle Marceau Reys et moi-même animions les soirées dançantes dominicales. C’était alors la grande vogue du cha-cha-cha où les danseurs se tenaient par groupes et évoluaient ainsi par rangées de 20 à 30, un petit tour en avant, un petit tour en arrière. Du haut de notre podium, c’était pour nous un spectacle amusant et nos danseurs en redemandaient souvent. […]
L’ambiance à l’Excentric, comme d’ailleurs dans les autres dancings dunkerquois, commença un peu à la fois à décliner, vers les années 63-64 commençait la période du rock, l’apparition des guitares électriques, des groupes tonitruants de jeunes gens braillant en anglais et revêtus de déguisements multicolores dignes de notre carnaval. 1968 approchait et déjà la révolution commençait […] L’Excentric-Moulins fermait ses portes et ne devait d’ailleurs jamais les rouvrir. […]


Témoignage de Jean Wycke (1919-2002), extrait de “Souvenirs, 60 années de musique”, tirage limité, Dunkerque, 1987

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collection personnelle

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Jean Reynaert, directeur de l'Excentric-Moulins, est aussi compositeur

La rumba des Pantins
par l'orchestre musette de Jo Reno




Le soir dans les faubourgs
paroles de Félicien Ouvry, musique de Jean Reynaert
interprétée par Arlette Rucart
collection personnelle



mercredi 26 juillet 2017

Arlette et René Rucart


La Radio du Nord 1929
collection personnelle


Né à Velaines (B) en 1854, Florimond Antoine Rucart épouse, à Lille en 1890, Léonie Delporte née à Esplechin (B) en 1864.  Florimond est journalier, il est à Lille depuis 1878. En 1896 à Lille, 51 rue du Chevalier Français, nait leur fils Florimond. Le couple se sépare vers 1900/1910 et Léonie déménage à Amiens avec son fils, où elle demeure avec Alexandre Fauvaux, cordonnier, 20 rue Jeanne Natière. Florimond fait la connaissance d'Arlette Barbier, née à Amiens en 1903. Domiciliée rue Rigollot, elle est la fille de Raoul, représentant de commerce aux Nouvelles Galeries d'Amiens, et Zélia Parent, couturière. Elle obtient un 1er prix de chant du Conservatoire d'Amiens vers 1918/1920. Ils se marient à Amiens en 1921.
Le couple chante régulièrement dans la Somme et dans l'Oise, notamment à Senlis en février et novembre 1927. Le Courrier de l'Oise nous décrit les qualités artistiques de Mme Rucart : "Toujours gracieuse, à la voix délicieuse et expérimentée, elle fut longuement applaudie dans ses chants, aussi bien dans le fabliau Jean de Nivelle, Que ne peut-on rêver toujours,  que dans Micaela de Carmen, mais dans le Rire de Manon Lescaut, elle électrisa l’assistance". Son époux est également apprécié : "M. Rucart n’est pas un amateur, mais un artiste de valeur, à la voix prenante et juste, à la mimique remarquable. Toutes ses chansons depuis La Victoire de Madelon, Boyer, Assez de bas de soie, A Travers les grilles, Faut jamais dire ça aux femmes, La pluie, le vent, la neige jusque Les Maisons de notre village, furent pour lui un succès. Comme Mme Rucart, il fut chaleureusement applaudi."
Après un séjour de quelques années à Senlis, le couple quitte la Picardie pour Lille, Florimond devient René, et en mai 1928 on les entend sur les ondes de Radio PTT Nord. La radio de Lille vient d'être créée quelques mois plus tôt, et organise chaque mois des "auditions d'essai au microphone" pour recruter des artistes "et voici comment se passe ces auditions d'essai. Un mardi soir (à cause du relais fédéral qui laisse le studio disponible), les postulants sont convoqués, auparavant à la Porte de Paris, maintenant [1934] à la Maison de la Radio [36 boulevard de la Liberté]. Dans une des grandes salles du rez-de-chaussée, un piano, un micro, un téléphone sont installé. Au bout du micro, un amplificateur réuni, d'autre part, à un poste récepteur branché dans une autre salle tout à fait indépendante de la première. Dans cette salle, une commission d'écoute, composée d'une dizaine de personnes, appartenant à la Commission des Programmes, et susceptibles par leur compétence spéciale, de donner un avis sage et sincère sur la valeur du talent qui, à l'autre bout du fil, se produit. Ces personnes ne connaissent pas le nom des artistes. Ceux-ci sont désignés par un numéro et les notations individuelles des commaissaires s'établissent de 0 à 10. Selon leurs affinités, certains apprécient plus spécialement le caractère musical des voix, leur tessiture, leur pureté, leur articulation. D'autres envisagent mieux le rendement technique, si on peut dire : saturation facile du microphone, rendement radio électrique des nuances. […] Aucun artiste, s'il n'a obtenu au moins la moyenne de 5, n'est déclaré admissible, sans que cette décision empêche d'ailleurs, ultérieurement, un essai qui, peut-être, sera plus heureux. […]" Léon Plouvier, directeur de Radio PTT Nord.


Le couple de chanteurs passe régulièrement à l'antenne et la revue La Radio du Nord s'en fait écho : "Les habitués de la station connaissent la délicieuse voix de Mme Rucart. D'une musicalité et d'une justesse parfaites, douée d'un timbre qui, à aucun moment, — chose extrêmement rare chez les femmes, ne sature pas le microphone — la voix de cette brillante artiste est, sans contredit, une des plus belles qui soit assidûment diffusée par Lille. Madame Arlette Rucart a obtenu à l'unanimité le premier prix du Conservatoire d'Amiens et eut l'heureuse fortune de décrocher l'an dernier, le prix d'honneur du Concours International de Solistes organisé par la Fédération des Sociétés Musicales du Nord et du Pas de Calais. Ses parutions au microphone, en interprétation de mélodies mais surtout en opérettes dont elle a donné de nombreuses auditions inédites à Lille, sont toujours fort attendues et goûtées des auditeurs. Le dernier concert au cours duquel Radio PTT Nord a pu diffuser sa voix délicieuse — le concert des Cheminots au Ramponneau — le 8 décembre, a été un véritable charme pour les auditeurs, rivés chez eux en cet après-midi de dimanche balayé de tempête. Aux côtés de Madame Rucart, les auditeurs ont souvent le plaisir d'entendre son mari M. René Rucart que Radio PTT Nord utilise assez fréquemment comme chanteur de genre et d'opérette. M. Rucart déploie au cours de ces auditions de brillantes qualités. On se souvient avec le plus vif plaisir des délicieuses opérettes interprétées par lui : Pierrot puni, Pierrot aviateur, La Fille du charbonnier, Lizchen et Fritchen, et  qui furent proposées par lui à la station. Petites choses légères, aimables que l'auditeur écoute avec intérêt parce qu'elles délassent heureusement des fatigues du travail et qu'elles apportent à l'écoute une variété précieuse aux grandes diffusions. M. René Rucart apporte, à ces auditions, la gaieté, la sureté vocale et musicales qui font les artistes aimés du public. Sa parution sur scène a d'ailleurs en tous points confirmé à maintes reprises, les qualités de cet excellent artiste." [La Radio du Nord, décembre 1929]
Arlette est une des animatrices des Matinées Enfantines, créées par Léon Plouviet, alias Grand Papa Léon, dès les débuts de la radio "Une des perles de Radio PTT Nord, et comment en douter ? A l'heure où paraissent ces lignes [1933] près de cinq mille petits ont souscrits une adhésion spéciale de friquet." [Annuaire de la Radiodiffusion Nationale]


le tour de micro
sur Radio PTT Nord
collection personnelle
La radio diffuse aussi, en direct, leurs récitals chaque mois, puis à partir de 1930, chaque semaine, avec d'autres vedettes plus connues de la station, comme Bertal, Guy Berry, Daudelin, Line Dariel, Léopold Simons, Maurice et Marguerite  Lecomte.
Leurs activités radiophoniques semblent s'arrêter pendant la guerre et ne reprennent pas ensuite. Je sais seulement qu'Arlette Rucart est directrice artistique de l'agence Nord Spectacles, dirigée par Bertal et devient la correspondante régionale de l'Agence Paris-Music Hall. Elle décède à Longpré-les-Corps-Saints (Somme) en 1968 et est inhumée au cimetière du village et où l'a rejoint son époux qui décède à Lille en 1975.

Christian Declerck le 26/7/2017


Arlette Rucart, Bertal, et d'autres artistes lillois viennent se produire au Casino de Malo les Bains comme nous le raconte très bien le père d'Olivier Foulont sur son blog ICI


collection personnelle


Sources : La Radio du Nord, Le Journal de Roubaix, Le Courrier de l'Oise, état civil de Lille, Amiens, recensement d'Amiens, Annuaire de la Radiodiffusion Nationale, 1933, 1934, catalogue BNF.

Discographie

Malgré les nombreux passages en radio, ces deux chanteurs ont assez peu enregistré, voici les quelques références relevées dans le catalogue de la BNF et dans ma collection :

Arlette Rucart
- Les Dragons de Villars, Il m'aime, disque Cristal 5266
- Mam'zelle Nitouche : le Soldat de plomb / Babet et Cadet, disque Cristal 5267 (1931)
- Véronique, couplet d'Hélène / les Saltimbanques, la Bergère Colinette, disque Cristal 5265
- Console-moi (P. Manaut, R. Solry), disque Cristal

René et Arlette Rucart
- On s'aime bien… nous deux (P. Manaut, R. Solry et P. Drucbert), disque Cristal 5516 (1933)

René Rucart
- Tiens-moi dans tes bras, disque Cristal 5516 (1933)
- Si j'avais des sous-sous / Ma femme croit que je m'amuse, disque Parlophone 85214 (1935)
- C'est tout le printemps / En sifflotant, disque Cristal 5515
- Tout l'pays l'a su / C'est sa java, disque Parlophone
- Dans la forêt de Chantilly, java (R. Leblond, V. Marceau et E. Pellemeulle, disque Parlophone
- Je suis amoureux / La valse à grand-papa (R. Leblond, V. Marceau et E. Pellemeulle) (1935)
- Mon vieux Faubourg (P. Manaut, V. Marceau et E. Pellemeulle)


Mon vieux Faubourg
par René Rucart

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Quelques partitions extraites de leurs répertoires





collection personnelle


dimanche 2 avril 2017

Janine Toscane a disparu


Fin novembre 1953, Interpol lance un avis de recherche international pour retrouver la chanteuse lilloise Janine Toscane. D'après sa mère, elle aurait disparu au Venezuela. Elle logeait au Normandy Hotel de Caracas qu'elle a quitté sans laisser d'adresse. L'avis est repris en Tasmanie et à Singapour :

Hobart News                      The Straits Times



Qui est Janine Toscane ?


La revue Nord-France, 1er novembre 1952 :
"[…] La Lilloise Janine Toscane qui vient de remporter de flatteurs succès est en effet considérée, dans le Moyen-Orient, comme une des plus grandes vedettes de la chansons française. Paris commence à lui faire ses engageants sourires mais elle est déjà très connue en Egypte, au Portugal et en Italie : une preuve de plus que nul n'est prophète en son pays !
Comment du piano est-elle passée au chant ? C'est toute une histoire… que voici : Née à Lille, Janine Toscane part habiter Marcq-en-Barœul dès son plus jeune âge. A 5 ans, son père lui apprend le solfège qu'elle connaît… avant de savoir lire et écrire. A 6 ans, elle suit les Cours Massenet à La Madeleine et, à 9 ans, les classes préparatoires du Conservatoire de Lille. A 10 ans, contrairement à tous les principes de la vieille maison, elle participe à une audition publique avec les élèves de la classe supérieure et joue le Rondeau de Chopin. Après avoir obtenu un premier prix de solfège à 11 ans et une première récompense* au piano à 14 ans, elle quitte le Conservatoire et l'évacuation de 1940 la mène à Paris. Là, elle retrouve son professeur lillois, M. Maurice Amour** [1888-1945] auprès de qui elle continue à travailler son piano. Elle fait alors la connaissance du compositeur aveugle René de Buxeuil et devient sa secrétaire.


extrait de Nord France
collection personnelle


Mais peu à peu, elle abandonne ses études de piano et prend des leçons de chant. Pour deux raisons : en premier lieu évidemment parce qu'elle a une jolie voix ; ensuite parce qu'elle a un caractère… indépendant et un peu aventureux. Les voyages, les changements lui plaisent et, en s'orientant vers le genre "Variétés", elle peut ainsi satisfaire son goût pour les pérégrinations.
Au début de sa jeune carrière, elle a naturellement l'idée de s'accompagner elle-même dans son tour de chant. Elle y renonce néanmoins rapidement car elle ne se sent pas assez en contact avec le public. "D'autre part, explique-t-elle, j'ai besoin de… mes mains pour chanter".

De la Suisse au Pérou
Après les traditionnelles tournées en province, elle se rend en Suisse, puis en Egypte où, arrivée inconnue, elle repart célèbre. Aux plus célèbres cabarets du Caire et d'Alexandrie succèdent ceux de Lisbonne, Madrid, Barcelone, Palma de Majorque, Milan et enfin, récemment, Paris. Elle s'apprête à s'envoler prochainement pour le Mexique et le Pérou. A moins que Paris, où on commence à l'apprécier de plus en plus, ne la garde.



Actuellement dans toutes les stations de métro, son nom est inscrit en grand pour annoncer sa présence dans un gala qui se déroulera le 8 novembre avec l'orchestre d'Eddie Warner.



collection personnelle



De sa  voix prenante, Janine Toscane interprète un répertoire varié qui va des chansons tendres "Si tu viens danser dans mon village", "Un gamin de Paris" (qu'elle a créées) aux chansons teintées de réalisme "Gigi", "Hymne à l'amour", et qui se termine par le cri déchirant de "Jézabel".
Ses projets ? Elle compte abandonner assez souvent le cabaret pour se consacrer aux galas scèniques, aux enregistrements de disques et à la radio […]. Robert Diligent"



Note
* un premier accessit. En août 1940 elle participe au concours public de la classe supérieure de piano, mais n'obtient pas de prix. Une mention manuscrite sur le programme que je possède nous précise que si elle joue bien la Ballade de Debussy, elle patauge dans la Toccata de Saint-Saëns.
** époux de Lila TOUCHINSKY (1906-2000), musicologue connue sous le nom de Lila MAURICE-AMOUR


extrait de Nord France
collection personnelle



Epilogue
Ses parents ont certainement été rapidement rassurés, leur fille a été retrouvée. Elle épouse un industriel italien, Mario Isastia-Henriquez au Mexique en novembre 1954 et abandonne sa carrière de chanteuse. Jeannine obtient le divorce en 1972, elle est alors domiciliée à Laval au Québec. Elle se remarie en 1973 avec Charles Courville à Ste-Catherine (Québec). Ses voisins de la rue Val des Bois, à Laval (Québec) ont conservé quelques souvenirs de Janine, dont une plaquette publicitaire qui détaille ses enregistrements, ses créations et son répertoire.

Quelques éléments biographiques
l'Intransigeant (Gallica)
Sa courte carrière professionnelle n'a pas laissé beaucoup de traces dans la presse. La prochaine vente de sa maison par son héritier sera peut-être l'occasion de faire exhumer des documents qui nous révèleront son parcours de chanteuse. Néanmoins, je peux livrer les infos qui suivent : son père Jean Henri, est né à Marcq en Barœul et sa mère Agnès Comyn est originaire de Bailleul, ils se marient en 1925 à Marcq en Barœul, le marié est ajusteur et la mariée est rattacheuse. Jeannine Madeleine naît à Lille le 11 août 1925 au 196 boulevard Montebelo. En 1935 elle est élève de l'école de musique de La Madeleine quand elle se produit en concert, au violon. L'année suivante elle obtient un 1er prix de solfège au Conservatoire de Lille et en 1939 un 1er accessit de piano. Vers 1940 elle devient la secrétaire du compositeur René de Buxeuil, à Paris. Je n'ai plus de mention dans la presse jusqu'en septembre 1949, elle fait la réouverture du Négreco à Rabat où sa voix charmante excelle aussi bien dans la chason de charme que dans les trépidantes sambas, puis en avril 1950 elle se produit au Caire, à L'Auberge des Pyramides. L'année précédente elle avait participé au film de Jean Perdrix, Hôtel des artistes, un court métrage de 15 mn. En 1952 elle fait sa rentrée à Paris, on l'entend à la radio, en compagnie de vedettes confirmées comme Line Renaud, Charles Trenet, Jacques Pills, Eddy Constantine et Les Frères Jacques. Mai 1952 le journaliste de l'Intransigeant succombe au charme de Janine : […] Janine Toscane, est svelte et avertie […]. C’est la dernière découverte des cabarets parisiens. Elle passe dans tout le Moyen Orient pour la plus grande vedette de la chanson française, ce qui prouve bien que nul n’est prophète dans son pays. A Schéhérazade, où elle chante actuellement, un homme est venu l’écouter qui se guidait entre les tables avec sa canne blanche. C’était René de Buxeuil, le compositeur aveugle, dont Janine Toscane a été pendant des années la fidèle accompagnatrice.

Christian Declerck




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Références relevés sur sa carte de visite :

Derniers disques enregistrés :
- Un gamin de Paris, Mick Micheyl et Adrien Marès
- Boucle blonde, Jacques Dutailly
- Si tu viens dans mon village, Coutet et Barelli
- Vaugirard, C. Syvane et F. Durandy
- Que faisons-nous ce soir ?, Deymour et F. Durandy
- Je vis la nuit, Mick Micheyl et F. Durandy
- Je te regarde, Gissel et Al Romans

Créations :
- Si tu viens dans mon village, Coutet et Barelli
- Que faisons-nous ce soir ?, Deymour et F. Durandy
- Je vis la nuit, Mick Micheyl et F. Durandy
- Seul avec toi, Max François et F. Durandy
- Près de Rio, Ourry et Rozanès
- Si jolie, Marnay et P. Gérard
- Un gamin de Paris, Mick Micheyl et Adrien Marès
- Y a des jours, Buard et Crémier
- Vaugirard, C. Sylvane et F. Durandy
- Je te regarde, Gosset et Al Romans

Répertoire :
- Quand chaque soir, Plante et Rubistein
- Bal du passé, Grassi et Svanoi
- Printemps, Coulet et P. Durand
- Embrasse-moi, Larue et Barelli
- Y avait toi, André Grassi
- Un air d'accordéon, Coutet et P. Durand
- Tourbillon, P. Dorsay
- Si tu partais, Michel Emer
- Amour, Varel et Bailly
- Si tu le veux, de Marsen et Koechlin
- Avril au Portugal, Jacques Larue
- Gigi, Thoreau et Veran
- Pour moi toute seule, Lafarge et P. Gérard
- Feuilles mortes, Prévert et Kosma
- Boléro, Paul Durand
- La vie en rose, Réal et Louiguy
- C'est tout, Dorsey et Emer
- Si vous m'aimez autant, Larue et Fares
- Les quais de la Seine, Dréjac et Lodge
- Soir sur Paris, Al Romans
- Adieu mon seul amour, Salvet et Fred, Fredd
- Images, Favereau et Nayval
- Jezabel, Aznavour et Shanklin
- Hymne à l'amour, Edit Piaf et Marguerite Monnot
- L'âme des poètes, Charles Trenet






merci à Alain Bello, son voisin, pour ces documents et les infos



Janine Toscane
collection personnelle




Références à la BNF :

78 tours Polydor 525012, orchestre des frères Medinger (1951)
- Une boucle blonde, Jacques Dutailly
- Gamin de Paris, Adrien Marès et Mick Micheyl

78 tours Etoile musette 271, orchestre Tony Fallone (1950)
- Vole la farandole, J. Dambrois et J. Fuller
- Une hirondelle, Félicien Ouvry

78 tours Etoile musette 270, orchestre Tony Fallone (1950)
La nuit chante pour nous, Henry Lemarchand, Reno
Lis moi dans la main Tzigane, H. Werner, J. Fuller