mardi 5 septembre 2023

Marie Demaeght, artiste lyrique, 1826-1911

C'est grâce à une petite phrase dans un entre-filets paru dans le Ménestrel en 1846, que je découvre cette artiste dunkerquoise : Se trouvant à Dunkerque, Mme Iweins d'Hennin n'a pu mieux faire que d'annexer à son ravissant répertoire la jolie production de Petit Pierre le Marin, de Joseph Vimeux, « devenu notre compatriote » comme dit le journal de la localité (sans doute par allusion à un mystère matrimonial).

Joseph Vimeux
source : Gallica

Un mystère matrimonial ! il aurait épousé une Dunkerquoise ? et je ne l'aurai jamais rencontrée !
Après une recherche rapide et je découvre que Marie Sophie Laurence DEMAEGHT, née à Petite-Synthe en 1826, épouse un avocat nommé Joseph VIMEUX, à Dunkerque le 29 juillet 1844. S'il est avocat, sa profession officielle, il est surtout connu et apprécié comme auteur et compositeur de romances (plus de 500 notices à la BNF). Comment se sont-ils rencontrés ? Précisément je ne le sais pas, mais cela semble remonter à peu d'années. Mlle Demaeght se produit en janvier 1843 (elle a 17 ans) dans les salons de M. Souffleto, le facteur de pianos parisien. Elle est alors élève de Mme Laure de Lagoanère (1805-1878). En juin 1844, dans les salons de monsieur Dupont,  Marie Demaeght, jeune personne emplie de charme et de distinction, interprète plusieurs romances nouvelles. En septembre de la même année, Le Ménestrel nous signale le retour de M. Joseph Vimeux qui nous a ramené Mlle Marie Demaeght, charmante cantatrice, actuellement Mme Vimeux. Ce couple artistique revient de Londres, à la suite d'un voyage qui n'a été qu'une série de succès. En novembre le couple ouvre des classes spéciales de solfège, chant et piano chez eux, 12 rue de la Michaudière à Paris.
Mais le bonheur ne dure pas, en juillet 1847, La Revue et Gazette Musicale nous apprend que le compositeur vient de succomber aux suites d'une congestion cérébrale. Né à Amiens en 1803, il avait 44 ans. Devenue veuve, Marie disparaît de la presse, sans doute continue-t-elle de donner des cours de chant. 
En avril 1866, apparaît une nouvelle cantatrice, Mme Marie Godin, dixit Le Ménestrel. Il s'agit bien de notre Dunkerquoise qui a épousé le sculpteur Eugène GODIN en 1860, il a 36 ans, elle en a 34. Marie quitte son appartement de la rue de Calais pour le n°7 du boulevard Rochechouart. On peut supposer que son époux a encouragé Marie à se produire sur scène au cours d'un concert de charité où elle interprète l'Ave Maria de Gounod. Remarquée, on l'entend de nouveau en février 1868 dans l'air des Noces de Figaro, puis dans Ballade-serbe et les Cloches du soir de M. de Vaucorbeil, dans le salon de Mme Viguier  où sa voix pure et son talent délicat sont appréciés.

Puis, aucune mention dans la presse de ses éventuelles prestations en concert privé, mais on la retrouve 5 ans plus tard dans la troupe du Théâtre de la Gaîté. En mai 1873, elle est au programme de La Poule aux œufs d'or, une féérie, dans le rôle de Follet scintillante. En août, dans le même théâtre, elle joue un petit rôle dans le drame Le Gascon de Barrière et Davyl. En novembre 1873, j'ai relevé sa présence dans la création de l'opérette de Jacques Offenbach, La Jolie Parfumeuse, au théâtre de la Renaissance. Elle tient aussi un petit rôle dans la reprise d'Orphée aux Enfers, en février 1874, au théâtre de la Gaîté. Offenbach semble l'apprécier, puisqu'elle obtient le rôle de Giacometta dans Madame l'Archiduc (oct. 1874), puis elle est Margotte dans Geneviève de Brabant (février 1875), et Bella dans Le Voyage dans la Lune (oct. 1875) dans ce même théâtre.

Ensuite les seules mentions dans la presse concernent ses cours de chant et surtout les auditions où se produisent ses élèves, auxquelles participe sa fille Jenny, pianiste de talent. Dans la même séance [en mars 1877] , Mlle Godin a exécuté dans la perfection quelques morceaux de piano empruntés aux œuvres des maîtres. Avant peu, cette charmante jeune fille, qui n'a pas encore atteint sa quinzième année, aura une réputation de virtuose.

Jenny Godin est née à Paris le 12 août 1862. Elle interprète en avril 1878, au cours d'une audition chez sa mère, un fragment du concerto en mi majeur de Hummel et un charmant scherzo de Th. Dubois (son professeur d'harmonie). Elle donne un concert le 2 février 1879 dans la salle Erard secondée à merveille par MM. Viguier, Adam et Le bouc, la jeune et vaillante artiste a tenu parfaitement sa partie dans le quatuor en mi bémol de Beethoven et le quatuor en sol mineur de Mozart. L'andante des Erynnies, de Massenet et un délicieux scherzo et choral de Th. Dubois, la grande valse en la bémol de Chopin ont prouvé que Mlle Jenny Godin est excellente musicienne et qu'elle possède des qualités de son et de mécanisme fort rare à son âge et qui font honneur en grande partie à l'école de Mme Viguier dont elle est une élève des plus remarquable (Le Ménestrel). En février 1880, second concert à la salle Erard, en quatuor, puis elle interprète seule La Berceuse de Chopin, le Chant Triomphal de Mendelssohn et le rondo de la sonate en la bémol de Weber, avec une grâce et au besoin une énergie et une puissance qui lui ont valu un éclatant succès : applaudissements, bravos et rappel chaleureux. Ses concerts rencontrent à chaque fois le succès, les compte rendus décrivent sa grâce aérienne de sylphe et son interprétation du Caprice en fa mineur de Haydn où coule en une ruisseau de cristal limpide et transparent, une interprétation qui unit le style à l'expression, le charme à la force. En mai 1886, elle épouse en l'église Notre-Dame de Lorette, Charles OURSEL, employé de commerce. Le 6 septembre 1887 naît leur fille Germaine, mais le 25 septembre Le Ménestrel annonce le mort de Jenny, dix jours plus tôt, probablement des suites de l'accouchement.
Sa mère continuera de donner des cours de chant, en 1895 elle est décorée des palmes académiques et elle meurt en 1911 à Baccarat. Son père était décédé quelques mois plus tôt que sa fille, en avril 1887. Germaine est morte à Rabat en 1954.

Christian Declerck, septembre 2023

l'illustration de La Jolie Parfumeuse est sur Gallica
le portrait de Jenny Godin est en vente à la galerie de Quelen




cimetière du Père Lachaise
source : Geneanet