samedi 28 octobre 2023

Emilienne Duchastelle, alias Rose TELL

J'ai trouvé (avant 2000), sur la brocante de Wormhout, un lot de documents lui ayant appartenu : une vingtaine de contrats, des lettres, des photos d'artistes régionaux dédicacées (voir en bas de page) et des photos personnelles (certaines très intimes…), ces papiers étaient en vrac dans une caisse, le vendeur n'avait certainement pas regardé ce qu'il vendait, j'ai acheté le lot pour quelques francs, et grâce à ces documents j'ai pu reconstituer sa brève carrière artistique. Ses débuts, son apprentissage, si il y en a eu, me sont inconnus. 

Le 17 novembre 1909, Edmond va à la mairie de Dunkerque déclarer la naissance d'Emilienne qui a vu le jour le 15, il est accompagné de deux témoins : Gaspard Louis ROSE, le grand-père du bébé (cordonnier, mais aussi contrebassiste au théâtre) et Jules Georges ROSE, son grand-oncle (professeur de musique et directeur de l'Union Chorale). Edmond, né à Dunkerque dont la famille paternelle est originaire de Calais et Furnes, exerce plusieurs professions ; il est tour à tour, ouvrier du port, employé de commerce et chauffeur de taxi. Il se marie en 1909 avec Germaine ROSE, mais divorce en 1911, puis se remarie en 1919 et divorce de nouveau en 1921…  en 1936, il habite au 2 rue des Brigittines à Lille, il est mort à Paris l'année suivante. Sa mère se remarie avec un Lillois en 1920, Henri Lefèbvre. Quand celui ci meurt en 1933 à Wattignies, Emilienne a déjà quitté le foyer parental depuis plus de cinq ans.

Emilienne Duchastelle
collection personnelle

Le Moulin Bleu

Le premier document en date est un contrat des Tournées Moreau, à Paris, envoyé à Emilienne, poste restante (?) à Lille Bourse. Elle est engagée pour la saison 1928/1929, je n'ai pas le détail du contrat, ni d'autres informations, seule mention "En principe les répétitions commenceront le 20 juillet, il faudra donc que vous soyez à Paris à cette date". Une lettre recommandée suivra avec des précisions, lettre que je ne possède pas. Le document suivant, à l'entête du Théâtre du Moulin Bleu, me donnera une piste pour connaître les détails.

Je soussigné Pierre Murio, administrateur général du Théâtre du Moulin Bleu, certifie que Mlle Emilienne Duchastelle a été employée au dit théâtre en qualité de "petite femme" au cours de la Revue A Nu les Belles Filles. Le 19 octobre 1928.


Le Moulin Bleu ! un haut lieu du spectacle nu parisien, situé 42 rue de Douai, elle démarre fort la petite Dunkerquoise, à 18 ans elle est encore largement mineure ! et je doute que ses parents aient donné leur accord. Comment est-elle arrivé là ? on ne le saura jamais, hélas. Heureusement la presse nous donne des précisions sur ce spectacle, la répétition générale a lieu le 27 juillet et la première le lendemain. Elle y joue donc tout l'été 1928. Je n'ai pas trouvé de photo de ce spectacle mais une autre revue, jouée en avril dans le même théâtre, nous donne une idée des "costumes" déshabillés de ces dames.

Source

Après cette expérience, il y a un trou de plusieurs mois dans sa carrière. Puis, en janvier 1930, les Tournées Ramos-Berthams-Brunettys, de Paris, lui proposent un contrat d'engagement pour la revue Tout à l'Humour, appointements : 550 francs par mois + 15 francs par jour de défraiement en province, et il est prévu un dédit de 550 francs. Les débuts sont prévus pour le 4 janvier 1930, mais les répétitions sont gratuites. Elle est alors domiciliée au 165 boulevard de la Villette. Là aussi la presse nous détaille une partie des lieux de représentations : en janvier à Chartres ; puis à Paris (Casino St Martin) en février ; en mars à l'Olympia de Dijon puis à Fontainebleau au Cinéma Select et enfin, au moins dans la presse, au Kursaal de Versailles, le 27 mai. Après quelques mois de vacances, j'ai relevé dans la presse son passage au Casino du Crotoy, dans la revue Caf' Concert Paris 1900, où elle tient un rôle de "petite danseuse". En 1936, elle est résidente à Limoges, 10 rue Prépapaud (une rue réputée pour ses maisons closes), c'est à Limoges qu'elle épouse le chanteur lyrique, Edmond Dastan, alias DRAMY, le 1er décembre 1936. Dramy, né en 1885, est un artiste lyrique et comique qui se produit depuis au moins 1908. Il est alors dans la Marine Nationale et en parallèle il chante à L'Eden, café concert de Brest, par exemple. Le couple emménage à Lille vers 1938. Lui est speaker à Radio PTT Nord, il présente une demie heure de fantaisie, puis en 1941, l'Heure des Amateurs. Pendant la guerre, ils créent une troupe éphémère : Dramy-Hett et sa compagnie, qui donne en avril 1941 plusieurs concerts de bienfaisance au profit des prisonniers de guerre. Dramy-Hett, c'est très probablement notre dunkerquoise qu'on surnomme La Poupée qui Chante dans le programme. Mais le couple bat de l'aile… en décembre paraît cette petite annonce : Edmond Dastan, dit Dramy, artiste lyrique, 48 rue Gustave Delory à Lille, déclare qu'à la date du 20 septembre 1941 il ne reconnaîtra plus les dettes contractées par son épouse, née Emilienne Duchastelle. Je ne sais pas si le couple se sépare vraiment, Emilienne reçoit toujours son courrier et ses contrats à cette adresse jusqu'en 1956. Ils divorcent officiellement en janvier 1946.



Nord Spectacles, 40 rue du Plat, Lille

Nord Spectacles

La vingtaine de contrat de l'Agence Nord Spectacles, signés de Bertal, nous donne une idée assez précise de sa petite carrière lilloise entre août 1945 et janvier 1949. Elle est employée dans les nombreux cafés-spectacles de la région lilloise et même en Belgique : le café Pichoff à Fives, le café Colpaert à Roubaix, le café de la Cloris à Douai, le café de la Douane à Tourcoing, le café de la Paix à Armentières, le café Julien à Mouscron, le café de M. Vanhuysse à Cappelle en Pévèle. En avril 1946 elle fait une tentative de recherche de contrat, à la Taverne Chanteclair à Reims, mais reçoit une réponse négative. Elle reprend ses prestations dans les petits lieux régionaux : le café Continental à Menin, plusieurs contrat au café Vens Dedecker à Halluin, au Chat Rieur à Roubaix, au café de la Douane à Tourcoing, au Pingouin à Charleroi, au café Rogers à Houplines, retour au Chat Rieur à Roubaix, un café 8 Hofstraat à Thourout, le café Métropole à Braine le Comte, le café Blomme à Mouscron et son dernier contrat (en ma possesion) au café Rogers à Houplines. Pour tous ces contrats on connait le détail des cachets qui s'échelonnent de 450 F par jour pour le premier, à 2.000 F par jour pour l'avant dernier. Les frais de voyage, repas et logement sont à la charge de l'employeur occasionnel, qui doit aussi payer 10 % d'honoraires à l'agence de spectacles.

Je n'ai aucune information jusqu'en février 1956. A cette date, elle signe un contrat de placier/représentant de commerce pour la société S.V.P. 237 rue d'Arras à Lille. Elle est chargée de placer des savonnettes et autres produits d'encaustique, elle touche 35 F pour chaque vente de 180 F.

Que fait-elle ensuite ? je ne sais. En 1975 elle est décorée (de quoi ?) comme l'atteste une photo parue dans le journal Nord Martin. Elle se remarie en 1978 avec André Wullepit, comptable, né au Mans en 1916, résidant à Lille depuis 1939 et divorcé en 1950. C'est probablement celui qui est présent sur les photos personnelles, il est musicien, saxophoniste dans un orchestre au dancing Le Versatile, il joue aussi du soubassophone (ou sousaphone).

Elle meurt à Lille en janvier 1991 à la Cité Hospitalière, son second époux est décédé en 1986.

Christian Declerck
28 octobre 2023



à Lille et alentours, avril 1941


Edmond Bommerez 1929-2011


le contrat Chez Julien à Mouscron

Trio Noé Dudule
clowns parodistes musicaux



l'orchestre du dancing Le Versatile


décorée en 1945
photo Nord Matin