Translate

dimanche 7 décembre 2025

Lietta Freckal, 1922-2017

mise à jour du 7/9/2021, suppression du lien obsolète vers Nord Littoral, remplacement par un PDF
mise à jour du 25/9/2017, ajout d'un lien vers l'article de Nord Littoral
mise à jour du 9/7/2017, ajout d'un montage-vidéo des photos de Lietta
mise à jour du 9/2/2024, ajout d'une vidéo de la BBC
mise à jour du 7/12/2025, on a retrouvé la voix de Lietta !


Sa fille, Martine Courtin-Deguines, vient de m'apprendre la triste nouvelle, Juliette est décédée vendredi 1er septembre 2017 en fin d'après midi. Elle était née à Calais le 14 décembre 1927, fille de Frédéric et Jeanne Prévost.

Le journal Nord Littoral a fait paraître cet article le 24/9/2017

******


collection personnelle


Martine Courtin-Deguines a retrouvé deux albums photos de sa mère, au fond d'un panier de vêtements, elle m'a demandé de les ajouter à cette page. Pas de musique d'accompagnement, il n'existe pas, hélas, d'enregistrement de Lietta Freckal.



à regarder plein écran


On y retrouve ses amis artistes : Albert Demeulemester, alias Bertal (artiste et directeur d'une agence artistique lilloise), Robert Jordens, alias Ch'Guss (le comique patoisant boulonnais), Serge Davri, Jeanny Stander, Jacques Nellos, Jean Jarrett, Emile Lamour, alias Gilbert Elmy, et Victor Charlier, le chef d'orchestre de Radio-Lille.

C Declerck



*****


Extrait d'une coupure de presse non identifiée, non datée (archives municipale de Boulogne sur Mer)


"Charly Yorel [1899-1962] nous parle de la chanteuse calaisienne Lietta Freckal
Pour situer Lietta Freckal, nous ne pouvons mieux faire que d'entendre Charly Yorel nous parler d'elle. Le sympathique artiste régional que nous avons applaudi fréquemment est en effet à l'origine de la carrière artistique de Lietta Freckal.
C'est en 1949, nous précise-t-il, que j'ai entendu pour la première fois la jeune Calaisienne. Je tiens tout d'abord à vous dire que Lietta, qui est la plus charmante fille que j'ai connu, tient à l'orthographe correcte de son nom qui comporte 13 lettres. Cette petite exigence est la conséquence d'une innocente superstition.
A cette époque je participais à un gala de variétés organisé par la société Concordia, au théâtre de Calais. Je venais de me produire dans un numéro de prestidigitation et, en coulisse, je remettais en ordre mon matériel. Une jeune chanteuse m'avais succédé en scène et ses accents étaient si prenants, sa personnalité tellement évidente, que je subis une impression indéfinissable qui me cloua sur place.
C'était Lietta Freckal qui chantait. Elle interpréta l'Accordéoniste et Hymne à l'Amour avec un talent que lui aurait envié Edith Piaf. Son succès fut éclatant.
Quand Lietta sortit de scène je lui fais la proposition de la joindre à mes camarades et à moi-même dans les futurs programmes que nous avions l'intention de donner dans la région boulonnaise.
Lietta accepta et débuta avec notre petite troupe à Boulogne, en juin 1950, lors d'un gala donné à l'occasion du centenaire des Etablissements Baignol et Farjon. Son talent de chanteuse réaliste impressionna profondément l'auditoire."
"Mariée à M. Pierre Deguines, instituteur, elle s'appelle Juliette Frère. C'est Jack Nellos, l'animateur de Concordia qui lui trouva ce diminutif de Lietta complété pour le nom de la première syllabe de son nom de jeune fille auquel il ajouta "ckal"… parce qu'elle était de Calais. Elle est musicienne et a appris le violon, ce qui lui permet de toujours interpréter ses chansons dans les meilleures conditions.


à 00:37 on aperçoit Lietta 


les préparatifs de l'émission vu par la BBC






La B.B.C. vient à Calais

La jeune téléphoniste suivit Charly Yorel dans de très nombreux concerts donnés dans la région et même au delà. Puis un jour, la B.B.C. traversa le Détroit avec tout son matériel, pour faire un reportage sur Calais. Il s'agissait plutôt d'une série de courts reportages qui allait permettre à la télévision britannique d'évoquer le Calais sportif, commercial, industriel et artistiques On ne manqua pas de faire appel à Lietta, qui allait ainsi devenir une vedette remarquée des téléspectateurs britanniques. l'un d'eux, et non des moindres, sir Eric Fauwcette, metteur en scène à la B.B.C. télévisionna le reportage sur Calais. Il entendit et vit Lietta qui le bouleversa au plus haut point.
Ce technicien du grand service anglais n'avait pas encore fixé son choix sur la chanteuse qui devait figurer dans le programme du Salon de la Télévision. Celui-ci devait s'ouvrir dans les jours suivants. Il avait, auparavant, pensé faire passer Edith Piaf dans son tour de chant. L'audition et la vision de Lietta Freckal modifia son projet primitif. Il téléphona le lendemain à Calais et fit à la jeune artiste une proposition très intéressante pour passer à la B.B.C. […] Lietta interpréta une demi-douzaine de chansons dont La vie en rose, succès dont les Britanniques sont aussi friands que des fantaisies sur Carmen. Son succès fut entier. Le lendemain Le Ciros, grand cabaret de Londres, offrait à la jeune Calaisienne un engagement de trois mois pour lequel il proposait 1.200.000 francs. Elle devait passer tous les soirs dans un tour de chant réaliste. Lietta n'accepta pas. […]"

photo de presse, collection personnelle



Témoignage de sa fille Martine Courtin-Deguines (juillet 2016)


Sa première prestation publique, elle l'avait faite en 1947, lors de la grève chez Brampton. Il y a eu une photo prise de haut, où on la voit chanter en robe à fleurs, avec les grévistes assis par terre. Elle a aussi participé à quelques revues avec André Culié, juste après la guerre, plutôt des petits rôles, et elle a toujours refusé de jouer la Zabel de la revue de Boulogne sur Mer montée par Jean Jarett. Mon père ne voulait pas, il disait qu'elle allait se dévaloriser.
Ma mère a été choisie pour représenter la France pour la première liaison Eurovision Grande Bretagne - Continent en 1950. Elle avait 22 ans. A la suite de ce passage (elle avait chanté La Vie en Rose) les Anglais ont envoyé une avalanche de lettres à la BBC pour savoir qui était cette jeune femme qui chantait si bien, et qui n'était pas vulgaire comme Piaf (authentique ! c'est ce qui ressortait de la plupart de ces courriers). Un certain Picket-Wilkes (que j'ai connu, il est venu souvent à la maison avec son épouse et il devait être un peu amoureux de ma mère) qui était quelque chose comme directeur des programmes de variétés à la BBC, il l'a fait revenir. Elle a chanté à nouveau La Vie en Rose, partiellement en Anglais, cette fois, et la BBC lui a offert un contrat d'exclusivité, ce qui n'était pas rien à l'époque. Il fallait venir s'établir en Angleterre, et ma mère a refusé (sous la pression de mon père, je le sais, qui avait peur de l'aventure).

Studio BBC Radio, La Semaine du Nord, février 1955
photo Roger Tollens
collection personelle


A l'époque, ils étaient fonctionnaires tous les deux, et la sécurité lui importait plus qu'une hypothétique carrière artistique. Ils avaient connu la guerre (mon père, réfractaire au STO, a vécu caché pendant deux ans) et ses privations (ma mère était réfugiée dans l'Est avec ses sœurs et sa mère, mon grand-père, sapeur-pompier, étant réquisitionné à Calais et elles ont eu faim), ceci peut expliquer cela. Elle a continué les concerts en France, tout en gardant son emploi au central téléphonique de Calais. En 1955, pour fêter les 5 ans de l'Eurovision, la BBC avait invité tous les protagonistes de la première émission. Elle a été à nouveau conviée à la BBC, mais pour un passage assez bref, qui a, à nouveau, donné lieu à des demandes importantes de la part du public. Re-proposition de contrat, un vrai pont d'or me semble-t-il. Là, elle a nouveau refusé. Tout comme elle a refusé d'être mutée à Strasbourg, où les PTT lui avaient proposé un poste aménagé et se proposaient de sponsoriser sa carrière. Oui, ça, c'est exact, même si ça parait amusant et incroyable. Là encore, refus de mon père. Et fin de l'espoir d'une carrière internationale, et même d'une carrière tout court.
Car, entretemps, il y avait l'imprésario de Piaf qui intervenait régulièrement pour empêcher la parution des articles la concernant en France.
Elle a continué de chanter dans des galas régionaux, et aussi en Normandie, tout en continuant de travailler aux PTT. Les tournées d'été La Voix du Nord, Kermesses de la bière à Maubeuge, premières parties d'artistes parisiens venus se produire dans le Nord.

Des souvenirs

Souvenir des paroles des chansons que ma mère affichait sur le papier peint de la cuisine pour les apprendre (mon père et moi en savions aussi long qu'elle à force !) des chansons apprises et répétées sur le vieux Gaveau du salon, ma mère sérieuse, concentrée, qui "sentait" du premier jet paroles et musique en même temps, et qui n'en variait pas. Si elle n'aimait pas, ne sentait pas une chanson, elle ne la prenait pas à son répertoire. Et mon père qui s'arrachait les cheveux, parce qu'il fallait transposer les chansons à cause de la tessiture de ma mère, qui chantait dans un ton pas possible. On s'y collait le jeudi après-midi, à recopier les chansons transposées, lui et moi (j'étudiais le piano, ça me faisait un bon exercice) Il y avait une foule de documents dans une valise (coupures de presse, photos, affiches etc.) chez mes parents. Mais quand mon père a mis en vente la maison, il a passé une semaine à brûler des tas de choses, dont tout ce qui avait trait à la carrière de ma mère, y compris ses dernières robes de scène et d'innombrables photos et souvenirs personnels et professionnels. Je n'ai pas récupéré grand chose. Je suppose qu'il voulait que tout cela disparaisse avec eux. Sur la fin, il était un peu spécial, mais bon, c'est ce qu'il voulait.
J'ai en tête d'innombrables anecdotes sur cette tranche de vie. C'est drôle, de vous écrire tout ça, plein de choses me reviennent en mémoire. Mon père lui a fait arrêter la chanson en 1968, en disant à ses deux impressari (Jean-Pierre Panir et Bertal) qu'elle n'était pas disponible pour les dates proposées. Ils ont fini par ne plus appeler. Il considérait qu'à 42 ans, avec une fille mariée, elle avait passé l'âge de se produire en public. Très entre nous, je considère que mon père a brisé sa carrière. D'ailleurs, ma mère le lui a souvent reproché. Je crois qu'il se savait moins talentueux qu'elle et avait peur de la perdre. Ma mère était très belle et chantait réellement merveilleusement bien.
Elle avait un talent fou et savait ce qu'elle voulait, malheureusement, elle appartenait à cette générations de femmes dont le mari gère la vie, et elle n'a pas su (ou pas voulu) s'imposer.
Je l'ai vue (et pas qu'une fois) entrer en scène dans une salle houleuse (Kermesse de la Bière à Maubeuge, Salle des Fêtes à Bucaille, près de Boulogne) où tous les artistes refusaient d'aller chanter, et retourner le public dès sa première chanson. On n'entendait pas une mouche voler, et pourtant, c'étaient des public difficiles. Elle arrivait à les faire taire, à l'écouter, et ils lui faisaient une ovation. Ça, je l'ai vu à chaque fois. Elle avait un vrai talent, un vrai charisme.


D’autres souvenirs

Quant à mon père [Pierre Deguines (1922-2011)] il était instituteur, mais également l'accompagnateur au piano de ma mère. Il a travaillé dans l'orchestre de Jo Bouillon, avec Joséphine Baker et il a crée l'orchestre Blue Melody (c'est comme ça qu'il a rencontré ma mère en 1948). Puis, il a dirigé l'orchestre du casino de Calais pendant de nombreuses années, après avoir animé le cabaret l'Oasis, juste en face du Casino.

Pierre Deguines (à gauche) et Lietta Freckal 
studio BBC Radio
collection personnelle


Charly Yorel (de son vrai nom Charles Leroy), je l'ai très bien connu. Je l'aimais beaucoup. C'était un vieux garçon, mais il adorait les enfants, et il me fabriquait toutes sortes de petits objets rigolos et de très beaux dessins, ce pourquoi il était très doué. Il était calme et très pince sans rire. Impossible, à le voir, de deviner qu'il était capable de faire rire à ce point sur scène. Je le compare souvent à Jango Edwards, c'était le même genre de risque tout que rien ne démontait.


collection personnelle


On a dit qu'il s'était suicidé, mais il n'avait à ce moment, aucune raison de le faire : il avait une amie et ils devaient se marier. Mais c'était un bohème, un genre de professeur Tournesol, et son tuyau de gaz n'était pas sécurisé du tout. Ca a été un grand choc pour nous d'apprendre son décès. Je me souviens encore de son enterrement à Pont-de-Briques. Lui et puis Jean Jarett, qui était fantaisiste sur scène et entrepreneur des pompes funèbres le jour mais n'était jamais sérieux, même dans la vie. Je ne sais pas comment il faisait pendant les enterrements.
Et puis les clowns Gilmano et Vincetti, Jeany Stander, la présentatrice de tous ces spectacles, Nellos, agent de police hors de la scène, Emile Lamour, (nom de scène Gilbert Elmy) le ténor chéri de ces dames, André Culié, et par là-dessus, jamais bien loin, les frères ennemis du journalisme, Robert Lassus (Nord-Littoral) et Robert Chaussoy (dit File-Vite) pour la Voix du Nord. Et Ch'guss, et André Bal (devenu ensuite Tit Louis d'Peuplingues) qui jouait de la scie musicale, et ne manquait jamais de cracher dans un grand mouchoir à carreaux avant d'entrer en scène pour présenter les spectacles.
Et Serge Davri, comique complètement déjanté, qui venait souvent chez nous aussi. Lui, c'était quelque chose aussi. Quand il chantait je suis le maître à bord et se faisait sauter dans sa lessiveuse. Oh la la ! Il a répété ça souvent dans le jardin de notre maison. Ca déménageait !
Et Sacha Distel, grande vedette de l'époque, qui devait être un peu amoureux de maman (qui ne l'était pas ? Elle était si belle !) et qui la demandait toujours en première partie de ses spectacles. Après, il venait manger à la maison avant de rejoindre sa chambre au Meurice. Et j'était une petite fille très frustrée, parce que je ne pouvais pas le raconter à mes copines du lycée Sophie Berthelot ! Je l'avais fait une fois, et tout le monde s'était moqué de moi, personne ne m'avait cru. Et pourtant c'était vrai ! Sacha Distel était vraiment venu manger la veille au soir le civet de lièvre préparé par mon père. Que de souvenirs ! J'étais petite, puis adolescente, mais j'ai des images précises de tout ça, car c'étaient aussi des amis que mes parents recevaient volontiers chez eux .


Des enregistrements disparus

Ma mère a fait un disque dans les années 61-62. Il y avait 4 titres dessus (dont Ne me quitte pas, Chanson vagabonde, L'homme à la moto). La distribution de ce disque a été bloquée par Edith Piaf, qui ne faisait pas de cadeau à celles qui menaçaient de lui faire de l'ombre. Le disque n'a jamais dépassé le stade de la maquette, il n'y a même pas eu de pochette éditée. Ceci est véridique : Piaf faisait acheter les reportages réalisés sur ma mère afin qu'ils ne paraissent pas. Je me souviens de reporters de Paris-Match qui avaient passé plusieurs jours à Calais pour suivre la famille de Lietta Freckal au quotidien. Ils étaient venus à la maison, bien sûr, mais aussi à son travail, au Central Téléphonique, Boulevard Gambetta. Cet article, et beaucoup d'autres, n’ont jamais paru. J'étais petite, parce que j'avais perdu mes incisives devant, et ils m'avaient photographiée riant aux éclats, ça doit dater de 1955-1957. Elle a également fait une émission pour la télévision régionale en 1963 ou 1964. Elle y jouait le rôle d'une chanteuse de cabaret assassinée, dont un inspecteur de police tentait de trouver le meurtrier. Bien entendu, l’émission était émaillée de nombreux flash-back au cours desquels elle chantait, entre autres chansons, La Mama.
Quant aux bandes-son de concert, il n'y en a jamais eu, ma mère refusait qu'on l'enregistre. Si, peut-être une seule : une bande a été enregistrée lors d'une fête du 1er Mai au Parc Municipal de Calais. Je m'en souviens, parce que Robert Damien, batteur de l'orchestre Blue Melody, avait joué ce jour-là et il avait été tué le lendemain en démontant le podium. Il était électricien à la ville de Calais et c'était le cousin germain de maman, qui avait été élevée avec lui et qui avait été très choquée de cet accident. Je crois que c'était en 1958-1959. Il était le mari de Monique Damien, devenue ensuite Monique Dupont, et le père d'Eric Sprogis et d'Alain Damien qui ont tous deux dirigé le Conservatoire de musique de Calais. Une bande magnétique avait été réalisée, et mes parents en avaient eu une copie. J'ignore qui a conservé les autres copies et l'original.

Pas tout à fait disparus, sur FB j'ai trouvé cet coupure de presse, probablement Nord Littoral, qui nous apprend qu'un enregistrement du gala du Bac du 1er mars 1959, avec 8 chansons interprétée par Lietta. Un autre enregistrement vidéo cette fois, l'émission BBC Cross Channel en 1950, ont été retrouvés. J'espère avoir une copie pour vous en faire profiter.
 

 


Pierre Alberty né à Arras en 1878

collection personnelle
  
Comment naissent et vivent les chansons : Les Pantins ou Qui veut des pantins ?
paroles de Pierre Alberty, musique de Léojac
 
 
Qui veut des pantins,
En soie, en satin ?
Polichinelle en sabots,
Colombine et son ami Pierrot ?
 
Ce refrain à la fois lancinant et doux, obsédant et berceur, revient encore chanter dans nos mémoires. Cela a l'air d'une chanson faite pour endormir les enfants… En réalité, ce n'est pas tout à fait cela, et c'est cela un peu tout de même. Mais racontons, brièvement, et dans sa rigoureuse exactitude, l'histoire des Pantins, un gros succès du poète-chansonnier, Pierre Alberty, qui en compte à son actif un nombre prodigieux. 
L'exquis compositeur Léojac, qui mit au monde tant de prenantes mélodies populaires et qui fut prématurément ravi à l'affection de ses amis et à l'estime des foules enivrées de chansons, dit un jour à son ami Pierre Alberty : " Écoute, j'ai trouvé quelque chose qui me plait beaucoup. C'est d'un simplicité que je n'hésite pas à qualifier d'enfantine, et je verrais très bien sur ce thème mélodique une de ces chansons de nourrice que nos grands-mamans chantent pour endormir les marmots. Peux-tu me faire ça ?"
Léojac se mit alors au piano et joua à Alberty sa mélodie dont le refrain figurait assez bien une gamme descendante. Or, il se trouvait qu'en vertu d'on ne sait quel obscur et inexplicable phénomène psychologique, chaque fois que Léojac indiquait à son collaborateur un sujet propre à le satisfaire, Pierre Alberty traitait aussitôt un sujet différent ; ce qui n'empêchait pas, d'ailleurs, les deux complices d'épouser, par la suite, la même idée et de s'accorder à la trouver excellent et parfaitement appropriée à l'inspiration mélodique initiale ! Il en fut encore de même  cette fois
 
En quittant son collaborateur Léojac, Pierre Alberty cherchait un "départ" sur le refrain simplet, d'un charme doucement suranné, qui s'attardait dans sa mémoire, lorsque soudain, au détour d'un vieux faubourg populeux, il entendit monter vers lui le cri familier et mélancolique d'un vieux marchand de pantins ! "Qui veut des pantins ? on les vend dix sous !"
Ce fut un trait de lumière ! Alberty, ravi, tenait son "départ", il fredonnait déjà : 
Qui veut des pantins ?
En soie, en satin,
Et le lendemain — la chanson terminée— les amis rendaient visite à un éditeur qui nullement emballé par cette œuvrette qu'il déclarait vraiment "trop petite" (petite musique, petites paroles !) la prit néanmoins, en ajoutant que "c'était pour leur faire plaisir !"
Or interprétée, avec un art remarquable, une rare puissance d'émotion par ces deux artistes de talent que son Georgel et Monty, cette "toute petite chanson" connut instantanément la plus grande vogue et fut, pendant plusieurs mois, sur toutes les lèvres.
A qui Pierre Alberty devait-il ce succès ? Au charme de la musique de Léojac, certes ; mais aussi à son collaborateur anonyme, le vieux marchand de pantins du faubourg dont la rencontre inopinées lui avait inspiré ce pittoresque et philosophique tableau de la misère humaine.
Maurice Hamel 
Le Dimanche Illustré 1er août 1937
 
source : Gallica

 
Pierre ALBERTY est un pseudonyme, son vrai nom est Albert Jean Achille PENTEL. Il y a quelques années, j'avais été contacté par Mme Roussel-Orméa, l'épouse d'un petit-fils d'ALBERTY suite à la publication de la naissance d'un fils de Pierre et Constance Houlard, Albert Jean à Boulogne sur Mer en 1905, dans ma base sur Généanet. Hélas elle n'avait pas beaucoup d'informations à me transmettre : grand-père Alberty est entré dans ma vie en 1952, il n'était plus musicien, je ne sais pas de quel instrument il jouait ! j'ai quelque part un disque en cire, où la chanson Qui veut des pantins, en soie en satin colombine et son amie Pierrot...etc... j'ai toujours su qu'il avait composé des chansons, puisqu'il se disait chansonnier. Ce disque était sur une musique de Willemetz [en fait Leojac] si je me souviens bien. Il a écrit quelques livres assez osés surtout pour l'époque, malheureusement suite à mon divorce je n'en possède aucun et ne me souviens plus des titres. Sur son acte de mariage à Liège le 31 décembre 1908 figure bien la mention artiste musicien, par contre grand-père n'a jamais chanté devant nous, c'est Constance (Hélène) que l'on disait théâtreuse, qui chantait et fort bien. Je peux dire qu'il évoquait parfois Le Lapin Agile où il se produisait autrefois, en tant que chansonnier, dans la rue St-Vincent à Paris. Il avait fait des études inachevées de médecine, ce qui lui a permis de gagner sa vie ainsi que celle de ses trois fils en qualité de représentant en produits pharmaceutiques. Je suis désolée de ne pouvoir vous parler de ce musicien, que j'ai connu d'une autre façon, dans sa maison il n'y avait aucun instrument de musique, peut être un banjo... sur un mur. 
Mme Roussel-Orméa m'a transmis une photo d'Albert et son épouse Constance Houlard (1882-1962) prise en 1953.
 
collection Mme Roussel-Orméa

 
Albert PENTEL est né à Arras dans la rue des Bouchers de Cité. Son père, Achille était instituteur puis chef de bureau à la préfecture du Pas-de-Calais. Originaire de Heuringhem (62) il épouse en 1858 Sidonie Magnier née à Arras.  Il a une sœur plus âgée, Marie Alice Hélène, dite Mariette, née en 1859 à Arras, elle deviendra institutrice puis directrice d'écol, à Boulogne sur Mer, où elle décède en 1934. Je suppose que c'est avec elle qu'il a débuté son parcours scolaire et qu'elle lui également appris la musique ou au moins donné le goût, car elle est musicienne, je possède une partition d'une chanson Aidons-Nous, Soyons Frères publiée à Arras vers 1906, vendue au profit des veuves et des orphelins des mineurs de Liévin, dont elle a composé la musique.
 
La presse régionale nous apprend la suite de son parcours scolaire, d'abord à Boulogne sur Mer, où il obtient une bourse en demi-pensionnat pour ses études au collège, pas d'erreur possible il est mentionné en octobre 1891 : Albert Pentel né le 27 mai 1878 à Arras. En 1897 il est élève au lycée Faidherbe de Lille, Albert Pentel obtient le 6e accessit de version latine de la classe de rhétorique. En août 1897, Albert Pentel d'Arras obtient une bourse de licence de 1.500 F à la Faculté des Lettres de Lille. En novembre 1898 il est admis au grade de bachelier, enseignement classique, lettres, philosophie.
En février 1901, il participe à une soirée artistique organisée par un groupe d'amateurs lillois, dans la salle des Sans-Soucis, 58 rue de Tournai "Nous remarquons le nom du poète-chansonnier Albert Pentel qui a bien voulu réserver pour cette occasion la primeur de son talent original à Lille. C'est dans un répertoire complètement inédit et très varié que le chansonnier, déjà apprécié de quelques connaisseurs, se fera entendre dimanche". 
La fiche matricule d'Albert nous indique ses déplacements : en 1900 il demeure à Lille, 108 rue de Paris ; en 1905, il est à Boulogne sur Mer 12 rue Leuliette ; en 1908, il est à Liège à l'Hôtellerie de la chanson, rue de la Régence ; en 1913-1914, il habite Saint-Ouen, 1 rue des Entrepôts. 
Mais la recherche que j'ai faite récemment sur le site Gallica, qui était moins riche il y a 20 ans, m'a donné un masse de références qui permettent de tracer le parcours artistique de ce chansonnier qui a côtoyé les plus grands. Les premières mentions débutent en 1901-1903, le pianiste du Concert Tristan à Rouen est un certain Alberty qui "soutient dignement sa réputation d'habile pianiste" par ailleurs on le dit aussi chef d'orchestre dans cette même salle. Rien ne prouve qu'il s'agit de notre Arrageois… mais… j'ai de forte présomption. En mars 1905 le journal de Lille Le Grand Écho du Nord, nous apprend qu'une soirée Chanoiresque [sic] est programmée au café du Grand-Hôtel. Trois séances sont données "Par MM. Rolland et Alberty, chansonniers-musiciens des cabarets artistiques de Montmartre, qui promettent de nous faire ouïr de doulces [sic] mélodies tziganes, de joyeuses chansons satiriques inédites et des fantaisies d'actualité complètement nouvelles pour Lille, œuvres de l'humoriste Alberty". En novembre 1906, le compositeur Alberty, des Noctambules, participe à plusieurs concert dans la salle des fêtes du quotidien Le Journal. Il accompagne les artistes de la troupe Gosse et Charles Fallot, prince de l'humour, "assisté sur scène par le compositeur Alberty, des Noctambules, grand duc de l'accompagnement. En 1907, il se déplace à Chaumont (52), dans une soirée organisée par l'Harmonie Municipale au cours de laquelle se produisent également des "artistes parisiens, dont M. Dousset de la Gaité, Mlle Bréville des Variétés, et Mme de Pommeyrac […] n'oublions pas d'accorder une mention toute spéciale à M. Alberty, le pianiste remarquable, qui trois heures durant, a assumé la lourde tâche de l'accompagnement". En janvier 1909 il est le pianiste du cabaret La Pie qui Chante, 1589 rue de Montmartre, fondé en 1907. Il sera également le compositeur des revues et par chance j'ai pu acheter récemment un programme de ce cabaret qui nous dévoile son portrait.
 
sources : collection personnelle et Gallica
 
 Ce cabaret devient son emploi principal, ce qui ne l'empêche pas d'aller se produire à Bruxelles en juin 1910, avec son compatriote Jehan Rictus (de Boulogne sur Mer), puis à Vichy pendant trois mois l'été qui suit où il anime le cabaret artistique La Boite à Sel. Il sera présent à La Pie qui Chante jusqu'à la guerre. En 1912, on retrouve dans un concert organisé par le journal La Carrosserie Française, il est l'accompagnateur des chansonniers Léonce Paco et Paul Marinier, de la divette Marie Stelly, du barde montmartrois [et compatriote de Ruitz] Marcel Legay, le fantaisiste Jules Moy et du chansonnier, directeur de La Pie qui Chante, Charles Fallot. En 1914 on apprend qu'il est membre de l'Union Syndicale des Artistes Lyriques et en 1916 il est présent pour la Revue en Velours dans son cabaret habituel. Quelques années sans mention dans la presse, jusqu'en août 1922 où on le retrouve au cabaret La Pie qui Chante pour accompagner les artistes de la revue A Sept Milliards Près de Léonce Pacot. En mai 1923, il est à Lille, dans la Tournée du Concert Mayol qui se produit au Théâtre Municipal, puis à Paris dans la troupe du cabaret Aux Quat'z Arts. En avril 1924 il fait une escapade à Flers de l'Orne, pour la cérémonie du couronnement de la rosière avec Mlle Simone Judic de l'Apollo, Mlle Georgette Renée, flûtiste 1er prix du Conservatoire de Paris, le chansonnier Paul Weil du cabaret La Chaumière, et donc M. Alberty pianiste de La Pie qui Chante et des Quat'z Arts. En février 1925, j'ai relevé un premier passage à la radio, au programme du journal Le Matin, Les chansons du Cabaret du Chat Noir interprétées chez Fursy et Mauricet par le poète chansonnier Georges Cheppfer, du Moulin de la Chanson et Lucy Vauthrin de l'Opéra-Comique, accompagnés par le compositeur Alberty. En mai 1925, sur les mêmes ondes, Mme Charming, fantaisiste de l'Olympia qui chante Nocturne Vénitien de P. Alberty et Léojac, accompagnée par le compositeur. Une dernière mention relevée en 1932, le film La Fortune de Jean Hémard, avec Claude Dauphin, Jane Marny, Nitta-jo et Alice Tissot, est projeté au cinéma Le Capitole à Lille, Pierre Alberty est le compositeur de la chanson du film La Fortune.
 

 
Je ne peux pas citer toutes ses œuvres, il en a écrit plus de 300, vous pouvez en écouter 26 sur ce site ICI  et sur la BNF (par exemple La Faubourienne, chantée par Berthe Sylva). Parmi ses compositions, je relève une chanson publiée sous son vrai patronyme à Lille : Tous Debout, chœur des Travailleurs, paroles musique d'Albert Pentel, Lille, P. Lagrange, 1902 (BNF), toujours pendant son séjour lillois il a été en contact avec le compositeur malouin, Charles Delabre pour qui il a écrit les paroles de Lâcheté en 1901.
En 1953-1956 il est membre de la commission des comptes et de surveillance de la SACEM, il meurt à Meaux le 25 septembre 1958, il est inhumé à Villeparisis (77).
 
Christian Declerck
6 décembre 2025
sources : Gallica et archives d'état civil + l'article Un parolier d'importance, Pierre Alberty, de Samuel MARC, in Phonographie, n°7, été 2015. 
Quelques coupures de presse ICI 
 
 
Lâcheté, paroles A Pentel, musique Ch. Delabre
collection personnelle