Comment naissent et vivent les chansons : Les Pantins ou Qui veut des pantins ?
paroles de Pierre Alberty, musique de Léojac
Qui veut des pantins,
En soie, en satin ?
Polichinelle en sabots,
Colombine et son ami Pierrot ?
Ce refrain à la fois lancinant et doux, obsédant et berceur, revient encore chanter dans nos mémoires. Cela a l'air d'une chanson faite pour endormir les enfants… En réalité, ce n'est pas tout à fait cela, et c'est cela un peu tout de même. Mais racontons, brièvement, et dans sa rigoureuse exactitude, l'histoire des Pantins, un gros succès du poète-chansonnier, Pierre Alberty, qui en compte à son actif un nombre prodigieux.
L'exquis compositeur Léojac, qui mit au monde tant de prenantes mélodies populaires et qui fut prématurément ravi à l'affection de ses amis et à l'estime des foules enivrées de chansons, dit un jour à son ami Pierre Alberty : " Écoute, j'ai trouvé quelque chose qui me plait beaucoup. C'est d'un simplicité que je n'hésite pas à qualifier d'enfantine, et je verrais très bien sur ce thème mélodique une de ces chansons de nourrice que nos grands-mamans chantent pour endormir les marmots. Peux-tu me faire ça ?"
Léojac se mit alors au piano et joua à Alberty sa mélodie dont le refrain figurait assez bien une gamme descendante. Or, il se trouvait qu'en vertu d'on ne sait quel obscur et inexplicable phénomène psychologique, chaque fois que Léojac indiquait à son collaborateur un sujet propre à le satisfaire, Pierre Alberty traitait aussitôt un sujet différent ; ce qui n'empêchait pas, d'ailleurs, les deux complices d'épouser, par la suite, la même idée et de s'accorder à la trouver excellent et parfaitement appropriée à l'inspiration mélodique initiale ! Il en fut encore de même cette fois
En quittant son collaborateur Léojac, Pierre Alberty cherchait un "départ" sur le refrain simplet, d'un charme doucement suranné, qui s'attardait dans sa mémoire, lorsque soudain, au détour d'un vieux faubourg populeux, il entendit monter vers lui le cri familier et mélancolique d'un vieux marchand de pantins ! "Qui veut des pantins ? on les vend dix sous !"
Ce fut un trait de lumière ! Alberty, ravi, tenait son "départ", il fredonnait déjà :
Qui veut des pantins ?
En soie, en satin,
Et le lendemain — la chanson terminée— les amis rendaient visite à un éditeur qui nullement emballé par cette œuvrette qu'il déclarait vraiment "trop petite" (petite musique, petites paroles !) la prit néanmoins, en ajoutant que "c'était pour leur faire plaisir !"
Or interprétée, avec un art remarquable, une rare puissance d'émotion par ces deux artistes de talent que son Georgel et Monty, cette "toute petite chanson" connut instantanément la plus grande vogue et fut, pendant plusieurs mois, sur toutes les lèvres.
A qui Pierre Alberty devait-il ce succès ? Au charme de la musique de Léojac, certes ; mais aussi à son collaborateur anonyme, le vieux marchand de pantins du faubourg dont la rencontre inopinées lui avait inspiré ce pittoresque et philosophique tableau de la misère humaine.
Maurice Hamel
Le Dimanche Illustré 1er août 1937
Pierre ALBERTY est un pseudonyme, son vrai nom est Albert Jean Achille PENTEL. Il y a quelques années, j'avais été contacté par Mme Roussel-Orméa, l'épouse d'un petit-fils d'ALBERTY suite à la publication de la naissance d'un fils de Pierre et Constance Houlard, Albert Jean à Boulogne sur Mer en 1905, dans ma base sur Généanet. Hélas elle n'avait pas beaucoup d'informations à me transmettre : grand-père Alberty est entré dans ma vie en 1952, il n'était plus musicien, je ne sais pas de quel instrument il jouait ! j'ai quelque part un disque en cire, où la chanson Qui veut des pantins, en soie en satin colombine et son amie Pierrot...etc... j'ai toujours su qu'il avait composé des chansons, puisqu'il se disait chansonnier. Ce disque était sur une musique de Willemetz [en fait Leojac] si je me souviens bien. Il a écrit quelques livres assez osés surtout pour l'époque, malheureusement suite à mon divorce je n'en possède aucun et ne me souviens plus des titres. Sur son acte de mariage à Liège le 31 décembre 1908 figure bien la mention artiste musicien, par contre grand-père n'a jamais chanté devant nous, c'est Constance (Hélène) que l'on disait théâtreuse, qui chantait et fort bien. Je peux dire qu'il évoquait parfois Le Lapin Agile où il se produisait autrefois, en tant que chansonnier, dans la rue St-Vincent à Paris. Il avait fait des études inachevées de médecine, ce qui lui a permis de gagner sa vie ainsi que celle de ses trois fils en qualité de représentant en produits pharmaceutiques. Je suis désolée de ne pouvoir vous parler de ce musicien, que j'ai connu d'une autre façon, dans sa maison il n'y avait aucun instrument de musique, peut être un banjo... sur un mur.
Mme Roussel-Orméa m'a transmis une photo d'Albert et son épouse Constance Houlard (1882-1962) prise en 1953.
Albert PENTEL est né à Arras dans la rue des Bouchers de Cité. Son père, Achille était instituteur puis chef de bureau à la préfecture du Pas-de-Calais. Originaire de Heuringhem (62) il épouse en 1858 Sidonie Magnier née à Arras. Il a une sœur plus âgée, Marie Alice Hélène, dite Mariette, née en 1859 à Arras, elle deviendra institutrice puis directrice d'écol, à Boulogne sur Mer, où elle décède en 1934. Je suppose que c'est avec elle qu'il a débuté son parcours scolaire et qu'elle lui également appris la musique ou au moins donné le goût, car elle est musicienne, je possède une partition d'une chanson Aidons-Nous, Soyons Frères publiée à Arras vers 1906, vendue au profit des veuves et des orphelins des mineurs de Liévin, dont elle a composé la musique.
La presse régionale nous apprend la suite de son parcours scolaire, d'abord à Boulogne sur Mer, où il obtient une bourse en demi-pensionnat pour ses études au collège, pas d'erreur possible il est mentionné en octobre 1891 : Albert Pentel né le 27 mai 1878 à Arras. En 1897 il est élève au lycée Faidherbe de Lille, Albert Pentel obtient le 6e
accessit de version latine de la classe de rhétorique. En août 1897,
Albert Pentel d'Arras obtient une bourse de licence de 1.500 F à la
Faculté des Lettres de Lille. En novembre 1898 il est admis au grade de
bachelier, enseignement classique, lettres, philosophie.
En février 1901, il participe à une soirée artistique organisée par un groupe d'amateurs lillois, dans la salle des Sans-Soucis, 58 rue de Tournai "Nous remarquons le nom du poète-chansonnier Albert Pentel qui a bien voulu réserver pour cette occasion la primeur de son talent original à Lille. C'est dans un répertoire complètement inédit et très varié que le chansonnier, déjà apprécié de quelques connaisseurs, se fera entendre dimanche".
La fiche matricule d'Albert nous indique ses déplacements : en 1900 il demeure à Lille, 108 rue de Paris ; en 1905, il est à Boulogne sur Mer 12 rue Leuliette ; en 1908, il est à Liège à l'Hôtellerie de la chanson, rue de la Régence ; en 1913-1914, il habite Saint-Ouen, 1 rue des Entrepôts.
Mais la recherche que j'ai faite récemment sur le site Gallica, qui était moins riche il y a 20 ans, m'a donné un masse de références qui permettent de tracer le parcours artistique de ce chansonnier qui a côtoyé les plus grands. Les premières mentions débutent en 1901-1903, le pianiste du Concert Tristan à Rouen est un certain Alberty qui "soutient dignement sa réputation d'habile pianiste" par ailleurs on le dit aussi chef d'orchestre dans cette même salle. Rien ne prouve qu'il s'agit de notre Arrageois… mais… j'ai de forte présomption. En mars 1905 le journal de Lille Le Grand Écho du Nord, nous apprend qu'une soirée Chanoiresque [sic] est programmée au café du Grand-Hôtel. Trois séances sont données "Par MM. Rolland et Alberty, chansonniers-musiciens des cabarets artistiques de Montmartre, qui promettent de nous faire ouïr de doulces [sic] mélodies tziganes, de joyeuses chansons satiriques inédites et des fantaisies d'actualité complètement nouvelles pour Lille, œuvres de l'humoriste Alberty". En novembre 1906, le compositeur Alberty, des Noctambules, participe à plusieurs concert dans la salle des fêtes du quotidien Le Journal. Il accompagne les artistes de la troupe Gosse et Charles Fallot, prince de l'humour, "assisté sur scène par le compositeur Alberty, des Noctambules, grand duc de l'accompagnement. En 1907, il se déplace à Chaumont (52), dans une soirée organisée par l'Harmonie Municipale au cours de laquelle se produisent également des "artistes parisiens, dont M. Dousset de la Gaité, Mlle Bréville des Variétés, et Mme de Pommeyrac […] n'oublions pas d'accorder une mention toute spéciale à M. Alberty, le pianiste remarquable, qui trois heures durant, a assumé la lourde tâche de l'accompagnement". En janvier 1909 il est le pianiste du cabaret La Pie qui Chante, 1589 rue de Montmartre, fondé en 1907. Il sera également le compositeur des revues et par chance j'ai pu acheter récemment un programme de ce cabaret qui nous dévoile son portrait.
Ce cabaret devient son emploi principal, ce qui ne l'empêche pas d'aller se produire à Bruxelles en juin 1910, avec son compatriote Jehan Rictus (de Boulogne sur Mer), puis à Vichy pendant trois mois l'été qui suit où il anime le cabaret artistique La Boite à Sel. Il sera présent à La Pie qui Chante jusqu'à la guerre. En 1912, on retrouve dans un concert organisé par le journal La Carrosserie Française, il est l'accompagnateur des chansonniers Léonce Paco et Paul Marinier, de la divette Marie Stelly, du barde montmartrois [et compatriote de Ruitz] Marcel Legay, le fantaisiste Jules Moy et du chansonnier, directeur de La Pie qui Chante, Charles Fallot. En 1914 on apprend qu'il est membre de l'Union Syndicale des Artistes Lyriques et en 1916 il est présent pour la Revue en Velours dans son cabaret habituel. Quelques années sans mention dans la presse, jusqu'en août 1922 où on le retrouve au cabaret La Pie qui Chante pour accompagner les artistes de la revue A Sept Milliards Près de Léonce Pacot. En mai 1923, il est à Lille, dans la Tournée du Concert Mayol qui se produit au Théâtre Municipal, puis à Paris dans la troupe du cabaret Aux Quat'z Arts. En avril 1924 il fait une escapade à Flers de l'Orne, pour la cérémonie du couronnement de la rosière avec Mlle Simone Judic de l'Apollo, Mlle Georgette Renée, flûtiste 1er prix du Conservatoire de Paris, le chansonnier Paul Weil du cabaret La Chaumière, et donc M. Alberty pianiste de La Pie qui Chante et des Quat'z Arts. En février 1925, j'ai relevé un premier passage à la radio, au programme du journal Le Matin, Les chansons du Cabaret du Chat Noir interprétées chez Fursy et Mauricet par le poète chansonnier Georges Cheppfer, du Moulin de la Chanson et Lucy Vauthrin de l'Opéra-Comique, accompagnés par le compositeur Alberty. En mai 1925, sur les mêmes ondes, Mme Charming, fantaisiste de l'Olympia qui chante Nocturne Vénitien de P. Alberty et Léojac, accompagnée par le compositeur. Une dernière mention relevée en 1932, le film La Fortune de Jean Hémard, avec Claude Dauphin, Jane Marny, Nitta-jo et Alice Tissot, est projeté au cinéma Le Capitole à Lille, Pierre Alberty est le compositeur de la chanson du film La Fortune.
Je ne peux pas citer toutes ses œuvres, il en a écrit plus de 300, vous pouvez en écouter 26 sur ce site ICI et sur la BNF (par exemple La Faubourienne, chantée par Berthe Sylva). Parmi ses compositions, je relève une chanson publiée sous son vrai patronyme à Lille : Tous Debout, chœur des Travailleurs, paroles musique d'Albert Pentel, Lille, P. Lagrange, 1902 (BNF), toujours pendant son séjour lillois il a été en contact avec le compositeur malouin, Charles Delabre pour qui il a écrit les paroles de Lâcheté en 1901.
En 1953-1956 il est membre de la commission des comptes et de surveillance de la SACEM, il meurt à Meaux le 25 septembre 1958, il est inhumé à Villeparisis (77).
Christian Declerck
6 décembre 2025
sources : Gallica et archives d'état civil + l'article Un parolier d'importance, Pierre Alberty, de Samuel MARC, in Phonographie, n°7, été 2015.
Quelques coupures de presse ICI








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