samedi 21 juin 2025

Victor Mathurin Buot, compositeur, chef de musique

 Une découverte étonnante, cette interprétation, au Portugal, d'une œuvre d'un compositeur inconnu mais pas totalement inconnu des dunkerquois… du XIXe siècle.


Banda da Sociedade Filarmónica União Arrentelense 4 de Março de 2017

Traduction du commentaire de la vidéo :
Victor Mathurin Buot est né à Strasbourg le 15 août 1822. Son activité musicale fut marquée par sa carrière militaire comme chef de musique de l'artillerie de la Garde impériale sous la Seconde République (1848-1852) et le Second Empire (1852-1870). Outre sa carrière de chef d'orchestre, il se consacra à la composition, à l'instrumentation et à l'enseignement. Il est l'auteur de nombreuses œuvres pour piano seul, ensembles de musique de chambre et harmonie. Son activité de chef de musique, à une époque où il était difficile de se procurer des originaux pour ces ensembles, le conduisit à transcrire de nombreuses œuvres du répertoire de l'Orchestre symphonique. Son talent d'arrangeur lui permit de publier nombre de ses transcriptions, certaines après sa mort. Il est mort à Menton, sur la Côte d'Azur, le 18 septembre 1883.
 
L'ouverture FRANCE fut composée en 1878. Son titre original complet est : « FRANCE - Ouverture Patriotique pour musique militaire ». L’œuvre est divisée en quatre sections. La première section comprend une introduction majestueuse suivie d’un andante cantabile. La deuxième section, construite en mode fugue, se caractérise par son tempo rapide. La troisième section est la plus marquante, car elle s’inspire de « La Marseillaise ». Composée en 1792, « La Marseillaise » a connu un tel succès qu’elle a été adoptée comme hymne national français en 1795. Cependant, en 1804, Napoléon Bonaparte l’interdit en raison de son caractère révolutionnaire. Même sous la Seconde République et le Second Empire, d’autres chants ont été utilisés comme hymnes nationaux. À l'époque de la composition de l'œuvre (1878), la France était déjà sous la Troisième République (1870-1940) et on peut supposer que Victor Buot s'est joint aux voix qui ont contribué à faire de « La Marseillaise » l'hymne national français, ce qui se produirait peu après, en 1879. La quatrième et dernière section de l'œuvre est composée d'un vivace qui oblige les interprètes à démontrer leur maîtrise technique.
Son instrumentation originale nous donne une idée de la constitution d'une Musique Militaire dans la seconde moitié du XIXe siècle : Petite Flûte RéB ; Petite Clarinette Mib ; 1º Clarinette Sib ; 2º Clarinette Sib ; Saxophone Soprano Sib ; Saxophone Alto Mib ; Saxophone Tenor Sib ; Saxophone Baryton Mib ; Petit Bugle Mib ; 1º Piston ou Bugle Sib ; 2º Piston Sib ; Trompettes Mib ; 1º Alto Mib ; 2º Alto Mib ; 3º Alto Mib ; 1º Cor Mib ; 2º Cor Mib; 1º Trombone ; 2º Trombone ; 3º Trombone ; 1º Bariton Sib ; 2º Bariton Sib ; Basses Solo Sib ; Basse Sib ; Contre Basse Mib ; Contre Basse Sib ; Tambour ; Grosse Caisse.
 
 
un autre enregistrement : la Chanson des nids, fantaisie polka pour deux clarinettes, interprétée par Gaston Hamelin et François Etienne, orchestre sous la direction d'Alexandre Courtade

et aussi
Morceau d'élévation, pour saxophone et orchestre, par l'orchestre d'harmonie de Landerneau, dirigé par Pierre Langonné, saxophone soliste : Serge Bertocchi

 

Complément biographique

Victor Buot a passé quelques années à Dunkerque. Un peu avant sa retraite de ses fonctions militaires, en 1867, il est nommé chef de la musique du 98e de ligne qui y est en garnison. Il participe activement à la vie musicale dunkerquoise. En 1868, il compose un petit opéra, Les Noces Bretonnes, sur un livret de Jules BERTRAND* qui est représenté sur la scène du théâtre du Casino de l'Estran à la demande de la propriétaire Mme Rosenquest et avec son orchestre il se produit régulièrement dans les concerts qui y sont organisés. La presse se fait écho de ses concerts notamment pour l'inauguration du nouveau Casino de Rosendael en 1868 : La semaine dernière je suis allé chercher une première représentation jusqu'à Dunkerque. On inaugurait le nouveau Casino, magnifique édifice ou le Monde Illustré a, le premier, donné la reproduction par la gravure. Sur un théâtre élevé au bord de la mer et élégamment décoré, en présence de la plus gracieuse société du département (on était venu de Lille en grand nombre), j'ai applaudi un charmant opéra de M. Victor Buot, intitulé Benedetta. De brillant motifs, de sémillants couplets, m'ont tenu sous le charme pendant une heure. M. Buot, bien connu et justement estimé dans le monde artistique, est chef de musique au 98e régiment de ligne ; c'est un homme de science et d'imagination. Je suis certain de revoir, un jour ou l'autre, Benedetta à Paris. Charles Monselet, Le Monde Illustré du 5 septembre 1868.
Mais déjà en janvier de la même année il s'était remarqué par la presse parisienne : La grande mosaïque du Barbier a été exécutée par la musique du 98e avec une si grande perfection qu’elle semblait reproduire jusqu'aux paroles du chef-d'œuvre. Rien de beau, de magnifique comme cette exécution aux applaudissements de laquelle il ne manquait que ceux de Rossini, qui ne s'en fût point fait faute. Dans cette belle audition, on a remarqué des solos admirablement rendus, et notamment la partie de hautbois qui nous conduit à répéter nos éloges à l'égard de l’habile instrumentiste qui possède un talent hors ligne, non seulement sur cet instrument, mais encore sur la petite flûte. Quelle belle carrière s’ouvre devant lui, s'il sait former, par des études soutenues, les heureuses dispositions qu'il montre si jeune encore. Applaudissements, trépignements, bravos, rappel, enfin toutes les manifestations possibles ont été employées par le public pour traduire la vivacité de ses impressions.
Les Bébés, polka de la composition de M. Buot, chef de musique du 98e, qui excelle dans la musique incitative, a produit le plus charmant effet, empreint toutefois d'une certaine tristesse près des excellentes mères nourrices, au regret de ne pouvoir calmer des souffrances exprimées avec tant de naturel et de vérité. […]
Le bouquet de la soirée consistait dans une tempête au Cap Nord, symphonie imitative avec chœurs et solos, exécutée d'une manière magistrale par la musique du 98e, par la Jeune-France et par la troupe du théâtre. L'auteur, M. Buot, si avantageusement connu dans le monde musical, a obtenu tous les suffrages, et nous conserverons, comme un précieux souvenir de son séjour à Dunkerque, une composition qui, à son mérite particulier, ajoute un cachet tout local d'un grand prix par l'effet si heureusement rendu d'une tempête dans laquelle se détachaient tous les vents au milieu d'une pluie et d'une grêle dont on cherche instinctivement à se préserver. L'illusion a d'ailleurs été rendue complète par la vue, à l'horizon, de notre Cap Nord avec ses maisonnettes au milieu de nos dunes sauvages. Nos compliments au peintre. Voilà une nouvelle perle à ajouter à l'écrin du savant compositeur. Le Corsaire du 19 janvier 1868
En 1869 : on joue les Pêcheurs d'Islande, drame lyrique en trois actes, paroles et musique de M. V. Buot, chef de musique du 98e de ligne, qui prête son concours à la représentation. La scène se passe à Mardyck. Au premier acte, baptême et départ pour l'Islande ; deuxième acte, incendie en mer et tempête au cap Nord ; troisième acte, le retour. Les principaux morceaux de la pièce sont l’Islandaise, la Ronde des Crevettes, la Prière des Pêcheurs (chœur et deux orchestres) et une symphonie par la musique militaire, la Tempête au cap Nord. Voilà une œuvre lyrique née dans nos murs, jouée pour la première fois sur notre scène, dont le sujet est tout à fait local et dont le talent incontestable de l'auteur est une garantie pour les dilettantes les plus délicats ; cela n'a rien fait, deux loges au plus sur vingt ont été prises ; les fauteuils d'orchestre et de la première galerie offraient des vides désolants. Ainsi, M. le Directeur vous voilà fixé : montez avec soin un ouvrage comme les Pêcheurs d'Islande ; ayez deux orchestres, frétez un navire, faites-le brûler en scène et couler bas aux accents d'une musique entraînante, aux cris d'une population affolée ; vous aurez le peuple, oui, la jeunesse amie des arts ; quelques graves personnages, sans doute, mais la haute société, point. Cependant, la pièce de M. Buot vaut la peine d'être entendue ; le sujet est intéressant et bien traité… Somme toute, la pièce a eu un beau succès. Bulletin de l'Union Faulconnier 1905
1870 : Les concerts du Parc de la Marine commençaient. La musique du 98e de ligne, en garnison à Dunkerque, y attirait le public et par le fini et le brio de son exécution, et par le talent de compositeur de son chef Buot dont tous les habitants fredonnaient la Polka des Crevettes ou Céleste Valse. Ces flonflons, inspirés d’Offenbach, charmaient notre population et la berçaient doucement. L'année terrible à Dunkerque 1870-1871, E. Bouchet et G. Duriau
Il quitte notre ville en 1872 pour prendre le bâton de chef d'orchestre du Café-Concert de l'Exposition de Paris. En avril 1873 la prédiction de Monserlet se réalise… en partie, son opéra-comique Benedetta est joué sur la scène du grand théâtre de Lyon. En 1874 il réside à Fourmies dans le Nord. Alexandre Desrousseaux nous indique que le carillon automatique de Gondecourt joue les 8 premières mesures de la Polka des Bébés à la demie. En juin 1880 il est témoin au mariage de Benoît Bernhard, fils de son ami et collègue musicien du 98e RI, Louis Bernhard. Victor Buot est alors chef de la musique municipale de la ville de Menton, il y décède deux ans plus tard foudroyé par une attaque d'apoplexie. En 1892, son épouse, Julie Pongérard, est domiciliée à Paris, 8 rue d'Auteuil, quand elle écrit au chancelier de la Légion d'Honneur pour obtenir une copie du brevet qui a été "volé lors de la mort" de son époux.
Plusieurs titres de ses compostions se rattache à notre région : Le Bourbourgeois, pas redoublé (1870 ; La Douaisienne, polka (1871) ; Dunkerque, pas redoublé (1884) ; L'Enfant du Nord, pas redoublé (1884) ; Le Géant, pas redoublé (1870) ; L'Islandaise, polka (1869) ; Jean Bart, pas redoublé (1868) ; Pêcheurs d'Islande, drame lyrique (1869) ; La Prière des Pêcheurs, chœur (1869) ; La Polka des Crevettes (1869) : La Tempête au cap Nord, symphonie pour musique militaire (1869) et Valenciennes, grande valse pour piano (1863).
 
Christian Declerck
21 juin 2025 
sources illustrations : L'Islandaise : Archives Municipales de Dunkerque, les autres : collection personnelle







 
 

lundi 12 mai 2025

Marie-Laure Bertrand, comédienne (1854-1940)

 Artiste dramatique, actrice de cinéma

 

Il y a de cela cinq ou six ans c'était un dimanche, vers l'heure du dîner, j'attendais, dans un salon ami, que la maîtresse de la maison sortit de sa chambre, où la retenait je ne sais quel incident. M. X. son mari, n'était pas rentré ; tout en me chauffant les pieds je jetai un coup d'œil machinal dans la salle à manger de laquelle s'échappaient des bruits discrets d'argenterie et de vaisselle. Une jeune fille très gracieuse, à la figure fine, éclairée de deux grands yeux de biche effrayée, faisait le tour de la table en rectifiant le couvert avec beaucoup de soin, pliant coquettement les serviettes sur les petits pains, et adressant à voix basse des instructions à la cuisinière qui, paraît-il, n'était entrée chez Mme X. que le matin. Le maintien extrêmement modeste, la toilette d’une simplicité un peu austère de la jeune fille me frappèrent elle me rappelait ces charmantes cousines de province, si douces et si gracieuses, dont chacun de nous a gardé quelque image chère au fond du cœur. 
Bientôt, les quelques amis attendus pour dîner arrivèrent. A côté de deux Parisiennes à coiffures en cascades (c'était la mode en ce moment), à costumes exquis et à conversation très hardie, telles que les ont maintenant les plus honnêtes femmes, la toilette et la tenue de la gentille ménagère formaient un contraste frappant. Mme X. la traitait maternellement, et comme cette dame était souffrante, c'était la jeune fille qui s'occupait des détails du service, avec un tact et une bonne grâce infinie. Pendant le dîner elle ne se mêla pas à la conversation générale, mais comme j'étais placé à côté d'elle, je l'interpellai directement sur des questions d'art, dont on parlait, surtout, car nous nous trouvions chez des artistes elle me répondit avec une netteté et une sûreté de vue qui m'étonnèrent chez une si jeune fille. Mme X. vers la fin du repas, adressa la parole à ma voisine en anglais, et celle-ci lui répondit dans la même langue, avec le plus pur accent de la Grande-Bretagne. Ces connaissances variées, cette rectitude cette tenue réservée, ce costume de soie grise à mille raies si simple, ce col montant… j'étais fixé ! la demoiselle aux yeux de biche était une jeune institutrice, retour d'outre-Manche. On avait dîné de bonne heure, pourtant le dessert était à peine sur la table que la jeune fille se leva, sans que personne parut, s'en étonner ; elle quitta la salle à manger et revint un instant après, coiffée d'une modeste petite toque et d'un pardessus noir. Chère madame, je me sauve, voilà sept heures et demie, dit-elle, mais je ne puis trouver mon livre de messe, je croyais, en rentrant ce matin, l'avoir mis sur le piano. Je l'ai posé à côté de la pendule, ma chérie, dit Mme X. La gentille personne glissa vite jusqu'au salon et reparut tenant un joli petit missel, à couverture d'ivoire, qui était certainement son livre de première communion. Puis, ayant embrassé son amie et le mari de celle-ci, elle partit, emportant une foule d'amitiés pour sa mère. Dépêche-toi de prendre l'omnibus, tu seras en retard ! lui cria Mme X. et la porte se referma sur l'aimable enfant. 
– Voila une bien charmante personne, dis-je à cette dame, elle est sans doute dans une institution bien sévère, pour qu'il lui faille s'en aller si tôt ?. M. X. partit d'un grand éclat de rire. Elle est à la Porte-Saint-Martin où elle joue le Tour du Monde, me dit-il. 
– Ah mon Dieu ! mais c’est invraisemblable et elle se nomme ?
Sur son acte de naissance Marie Bertrand de Saint-Remy ; au théâtre, Marie-Laure mais ne revenez pas sur votre impression première Marie-Laure est la plus honnête et la plus douce fille du monde ; son père est un journaliste de talent, sa mère une femme d'une profonde érudition. Marie-Laure a embrassé la carrière théâtrale pour des raisons très honorables, comprenant que son pinceau ou son talent de pianiste ne pourraient de longtemps suffire aux charges que les malchances de la vie lui ont créées, mais elle passe à travers le feu comme une salamandre. Elle ne cesse d'être Mlle de Saint-Rémy que bien juste devant la rampe ; le reste du temps c'est toujours la jeune fille bien élevée et prédisposée au "kant", que vous venez de voir.
Cette première entrevue ne s'est jamais effacée de mon esprit, et encore aujourd’hui, alors que Marie Laure se jette, avec des cris de passion, dans les bras du héros de quelque drame terrible, je vois quelquefois à sa place surgir l’image douce et froide de la jeune fille emportant son livre de messe ou arrangeant le couvert de Mme X. Il y a fort peu de temps que le public s'est aperçu que Marie Laure avait un réel talent, et ceci parce que les directeurs de Paris n’avaient pas l'air de s'en apercevoir non plus. Tout cela a une raison. La jeune artiste fut d'abord au Vaudeville, mais chacun sait que ce n'est pas avec ses appointements qu'une actrice paie ses toilettes. Ayant la volonté très arrêtée de rester absolument libre, elle dut se consacrer au drame, qui ne nécessite pas des robes de six mille francs aux frais de celle qui les porte. Cette manière insolite de comprendre le théâtre fit hausser les épaules tout autour d'elle. Cela et les réalités brutales d'une vie pour laquelle elle n'était pas faite l'exaspérèrent elle devint positivement insupportable, de plus en plus institutrice anglaise, susceptible et mécontente. Longtemps, elle caressa le rêve de quitter la scène pour se marier bourgeoisement et élever, dans quelque modeste cottage, une nichée de babies roses. Mais, au théâtre, on n’épouse guère que les femmes qui ont un passé intéressant. Elle resta donc artiste et finit par en prendre son parti et par se laisser empoigner par l'art, où elle mit tout son cœur et toute sa vaillance. Depuis ce temps, elle n'est plus de méchante humeur, n'effraie plus directeurs et camarades avec lesquels, jadis, les piques étaient fréquentes, et son talent est apprécié à sa réelle valeur. 
Cet automne, elle a joué Nana à Bruxelles avec un brio et un charme extrêmes, que soulignait un léger embonpoint qui donnait à sa beauté quelque chose de fort plaisant. Puis elle est revenue à Paris se faire applaudir dans plusieurs créations nouvelles ; elle vient hier de remporter un grand succès dans le rôle de la San Felice, bien que le drame ait soulevé des critiques, et la voilà, à vingt-cinq ans à peine, sur le point de prendre dans le drame une des premières places sur la scène parisienne. Il est peu d'actrices qui disent plus juste que Marie-Laure, elle a une intelligence de ses rôles poussée aussi loin que possible et elle est servie à merveille par sa voix très sonore, bien que sortant d'une bouche toute mignonne. Cette singulière personne adore la campagne : elle habite avec sa mère à Rosny sous Bois où elle retourne chaque soir, malgré le peu de commodité du voyage. Aussitôt qu'un rayon de soleil le permet, elle fait du paysage, et nous verrons une toile d'elle au prochain Salon. Encore une dans le monde, Marie Laure est sérieuse, un peu triste même sa conversation est spirituelle et étonne souvent, tant elle est au-dessus des papotages ordinaires des salons. C'est celle d'une fine lettrée, à la fois piquante jusqu'à la morsure et très réservée. Marie Laure est un type de jeune chanoinesse du temps de Mme de Genlis. En somme, une des fleurs les plus originales de notre couronne artistique : rose blanche au parfum d'oranger. 
Camille  DELAVILLE.
La Presse le 13 novembre 1881.
 
 
Laure Marie Alphonsine est née à Rueil Malmaison le 20 octobre 1854, de Jules BERTRAND (1817-1894), homme de lettres et publiciste et Julie Palmyre SAINT REMY (1824-1888), institutrice, puis directrice de pension. Ses parents se marient à Paris en 1851. Ils se séparent rapidement et Laure accompagne son père à Dunkerque vers 1860. Encore enfant, en 1868, elle se produit sur la scène du Casino Rosenquest dont son père est devenu le directeur. Elle commence ensuite une belle carrière de comédienne sous le pseudonyme de Marie-Laure. D'abord aux théâtres de la Porte Saint-Martin, du Château d'Eau, de l'Odéon où les critiques lui reconnaissent de vraies qualités d'artiste. En 1883 elle rompt son contrat avec l'Odéon pour s'engager deux ans au théâtre Michel de Saint-Pétersbourg. En 1885 elle obtient un engagement de trois mois pour le théâtre de Buenos-Ayres. En 1896 elle est nommé professeur d'art dramatique au Conservatoire de Marseille, mais démissionne en 1901 pour y créer une école lyrique et dramatique dans l'ancien gymnase de la rue Saint Jacques. En 1929 on l'interroge sur ses partenaires :
Avec quel partenaire préférez-vous jouer ? réponse de Mme Marie Laure : Hélas je me trouve dans l’impossibilité de répondre à votre question ! Étant donné mon grand âge, ma longue carrière (je vais entrer dans ma cinquante-cinquième année de théâtre), j’ai trop de souvenirs ; ils sont trop les grands artistes avec lesquels j’ai eu l’honneur et la joie de jouer ! Depuis 1874, époque de mes débuts, ayant eu la chance de ne jamais faire de cabotinage, soit en tournée, soit à Paris, j’ai fait partie de distributions où se trouvaient les plus illustres vedettes du moment… Des noms ? Parmi les femmes : Sarah Bernhardt, Réjane, Agar Farguelt (qui fut mon professeur), Reichemberg, Brandès, Bartet, Lily, Samary (Jeanne) ; les artistes hommes en prenant à mes débuts : Taillade, Lacressonnière, Dumaine, Pauli, Menier, Parade, Saint Germain, Silvain, puis, plus près de nous : Guitry, Huguenet, Coquelin aîné et cadet, les deux Mounet, de Féraudy, Le Bargy, Got… et j’en oublie. Convenez que le choix est difficile ; auprès de tous, j’ai eu des grandes joies d’art, aimant mon métier avec passion ; à chaque pièce et même maintenant j’ai un acte… une scène qui me plait plus particulièrement… mais choisir ! Ce n’est jamais la même chose et c’est toujours pareil. Mon Dieu, que j’ai la plume bavarde, excusez-moi… il ne faut pas me mettre sur le chemin du souvenir, j’aime trop mon théâtre, je ne sais plus m’arrêter (L'Ami du Peuple) A partir de 1911 (dans Une Conquête de Henri Pouctal) elle s'intéresse au cinéma et joue dans plus d'une quinzaine de films, ses probables derniers rôles étant celui de la marquise de Langrune dans Fantomas de Paul Féjos en 1932 et dans Il était une fois de Léonce Perret avec Gaby Morlay en 1933. Au cinéma et au théâtre elle côtoie sur scène les plus grands artistes de son époque : Louis Jouvet, Arletty, Michel Simon, etc. En 1933, doyenne des comédiens français, elle annonce prendre sa retraite après 62 années de théâtre. Elle décède le 15 décembre 1940 au domaine de Beaudouvin à La Valette du Var.

Christian Declerck
12 mai 2025

Comœdia 15 décembre 1908

Comœdia 1er mars 1910

Annales Politique 13 avril 1916

Excelsior 5 avril 1933


jeudi 1 mai 2025

Florimond DENNEELS, chef d'orchestre de cirque

 Si les cirques sont souvent étudiés et leurs généalogies abondamment médiatisées sur l'internet, il n'est que très rarement fait mention du chef d'orchestre ou il est seulement cité par son patronyme, quelque fois écorché.


Florimond DANNEELS en fait souvent les frais, il est parfois appelé DANELS ou DANNELS et son prénom et régulièrement oublié, mais c'est bien le même personnage. Et pourtant le chef d'orchestre de cirque est un personnage important du spectacle comme  nous le décrit cet article paru dans Rouen Gazette le 26 novembre 1932 (Gallica)
[…] Car au cirque, à l’inverse du théâtre, les violons et la flûte, les pistons et la batterie sont au service de la piste. M. Florimond excelle à cet exercice délicat qui est, lui aussi, de l’ordre de l’expérience depuis le temps où en 1887, il était premier violon au théâtre de Gand. Il entra ensuite chez Plège, et il ne s’évada jamais du cirque. Actuellement, il demeure à Tourcoing, mais il est attaché au cirque Poutrier* qui a remplacé Roche. Il ne s’en échappe que pour la vieille fête de Saint Romain à Rouen, qu’il fréquente depuis près de quarante ans. Il est venu en 1893, avec Plège qui s’installait dans le cirque de bois aménagé chaque année sur l’emplacement du boulingrin. Il y revint de deux ans en deux ans jusqu’en 1906. Il sait que Rouen est la meilleure foire de France. Il sait bien d’autres choses aussi et d’abord comment on conduit un orchestre de cirque.
 
 
Des habitudes
Tous les artistes ont leur musique, laquelle est distribuée aux musiciens. Mais il y a des changements qui doivent être instantanés afin que le spectacle n’ait point de creux. Il y a des modifications continuelles qui s’improvisent en cours de représentation. M. Florimond y veille. Quand il voit entrer un cheval, il sait ce qu’il faut jouer. Il n’a pas à chercher dans ses papiers. Les troupes de cirque ne renouvellent pas comme cela. Ainsi M. Florimond connait depuis longtemps l’ancien dresseur de chiens et de chats Gontard qui, cette année, complète le trio des clowns Bario et Dario. Il en connait bien d’autres qu’il retrouve et avec lesquels il a presque des habitudes. La présentation de la cavalerie est à peu près immuable. Pour la haute école, il faut une marche lente qui permette de « suivre le temps ». Le galop demande un « six huit », et la mazurka « trois pas ». Le chef bat la mesure. Il donne ainsi le régime qui convient aux équilibristes comme aux danseurs et aux animaux dressés qu’ils soient domestiques ou féroces. S’il va trop vite, tout le monde est « dedans ». La précision d’un numéro dépend un peu de l’adresse du chef d’orchestre. C’est un paradoxe charmant.

Des yeux et de l’oreille
Lors des changements de programme, le chef est à la disposition des artistes, la veille au cours de l’après-midi. Mais personne n’y vient. Et chacun accourt avant le spectacle. M. Florimond résiste à cet assaut. Il sourit gentiment et l’on a confiance en son habileté. De son perchoir, il observe la piste. Il ne la quitte pas des yeux. Et il suit son orchestre « à l’oreille ». Un jour un équilibriste lui explique que le soir il ferait ceci ou cela. Il avait omis de dire qu’il exécutait son numéro à bicyclette, et qu’ainsi il montait un escalier en portant un homme sur les épaules. Comment battre correctement la mesure lorsque celle-ci dépend d’un effort physique forcément irrégulier ?
Ce mois-ci, à Rouen, à la dernière minute, M. Florimond s’aperçût qu’un dresseur de chiens ne présentait pas toutes ses bêtes. Il devait apprendre par la suite que l’un d’eux avait été mordu et qu’il ne pouvait travailler. Philosophiquement il passa la polka du toutou et il attaqua une valse destinée au chien suivant. Et tout se passa le mieux du monde.
C’est dire que M. Florimond connait toutes les ficelles. Au cours de ses voyages, il a vu une fois ou deux le chapiteau être enlevé par la violence des rafales. Il est à l’abri des paniques et des surprises. Son fils, qui a de qui tenir, est à Médrano. Il continuera la tradition. […]
 
 Il est fort probable que ce passage à Rouen soit son dernier voyage. Florimond meurt à Tourcoing le 29 juillet 1934, dans son domicile 19 rue des Archers. 
Il est né à Gand le 1er juin 1867, fils de Léonard (boucher) et Alexandrine REYNAERT. On sait qu'il fait
ses études musicales au Conservatoire de Gand, il y obtient un premier prix de solfège en 1883. Comment est-il devenu chef d'orchestre de cirque ? je n'ai pas la réponse. La presse et les collections de programme sur Gallica nous donne ses différents lieux de prestations : ça commence en 1903, à Amiens pour Destard-Plège, puis Nantes (1904), Saint Quentin (1906) Cambrai et Rouen même année, Roubaix (1907), Saint Etienne, Troyes, Grenoble et Nantes, même année toujours même cirque. En 1910 il passe par Nancy, Dijon, Troyes et Lyon. 1911 c'est Limoges, Bayonne. En 1913 et 1914 il est à Dunkerque pour le cirque Excelsior de DUTRIEU (programme musical ci-contre), de même en 1920. En 1922 il est le chef d'orchestre du cirque Roche. Ce qui ne l'empêche pas de prendre des contrats supplémentaires comme à Malo les Bains le 8 juillet 1923, il donne un concert symphonique pour les plagistes à l'ouverture de la pâtisserie Boutteau. En 1926 il passe une petite annonce pour trouver un bon flûtiste pour le cirque Dutrieu qui est à Tourcoing du 24 juillet au 16 août. Il demeure déjà à Tourcoing 19 rue des Archers. En septembre même année il travaille pour le cirque Roche à Lille. En 1931 il est recensé à Pommard (Côte-d'Or), avec son épouse, 139 rue des Juifs. En 1932 il se produit à Tourcoing et enfin à Rouen.
En 1904, il épouse la couturière du cirque Plège, Cornélie VAN OVERVELD, née dans le Brabant à Wouw le 14 avril 1861, divorcée de Jean FOURDRAINE, cocher du même cirque. De ce premier mariage elle a eu un fils né en juin 1902, prénommé Florimond Rodolphe, le couple divorce en janvier 1903. Le prénom identique à celui de son second mari laisse supposer une… relation précoce, le père légal n'ayant pas désavoué la paternité, il portera le nom de son père. Il sera également chef d'orchestre de cirque, connu sous le nom de "FLORIMOND fils". D'abord en 1930 à Tournai pour le cirque Palisse, puis à Angers pour Médrano Boum-Boum, en 1934 pour le cirque Roche et 1935 à Nancy pour Pourtier*, il continue avec ce cirque à Bordeaux en 1937, puis en 1938 à Tourcoing et Lille. Toujours à Lille en 1946 et 1947 et, dernière mention relevée, à Rouen en 1948 avec le cirque Napoléon Rancy, géré par son petit-fils Henri qui deviendra directeur de cinéma à Dunkerque, mais c'est une autre histoire. En 1929, Florimond fils épouse Olga LOYAL, descendante de la grande famille circassienne, ils divorcent en 1937, puis se remarie en 1937 à Tourcoing avec Madeleine Dupont, née à Tourcoing en 1905. Je n'ai pas encore trouvé les lieux et dates de leurs décès. Madeleine a eu une fille née d'un premier mariage : Paule STOCK née en 1932, décédée en 2021 à Seclin qui aurait peut-être pu nous en dire plus sur ses parents et grands parents.
 

* Antoine POURTIER. Ce directeur de cirque est mentionné sur tous les sites des amateurs circassiens. Très souvent sans son prénom et jamais avec ses dates et lieux de naissances et décès. J'ai du chercher longtemps pour le dénicher. On pouvait imaginer qu'il était un "enfant de la balle" descendant qu'une famille circassienne étrangère puisque je ne trouvais pas ses dates sur les sites habituels de généalogie. Mais non, il est né en Haute-Loire, un département non encore inclus dans les bases de données. A Langeac, précisément, le 3 avril 1884, fils d'un ouvrier menuisier ardéchois, Henri Pourtier et de Marie Colombet originaire de Pélussin (Loire). En 1913, à St Etienne, il épouse Marthe RASSET, qui n'est pas non plus circassienne, mais deviendra artiste de cirque. Elle est née à Rouen le 7 septembre 1891, elle meurt en 1982 à Périgueux, c'est grâce à sa fiche dans la base de l'INSEE que j'ai pu remonter le fil généalogique de cette famille très discrète. Antoine est mort à Sanary sur Mer le 5 mars 1942, route de Bandol, villa l'Arlésienne. 
Je n'ai pas fait la liste de ses prestations, on trouve un rapide historique ICI, je mentionne seulement sa présence à Dunkerque en 1934 (affiche ci-dessous) et en janvier 1935, car les artistes du cirque font déposer une couronne mortuaire pour les funérailles d'Enrico PISSIUTI artiste écuyer, mort d'un accident pendant une répétition. Il était l'oncle d'Olga LOYAL épouse de Florimond FOURTRAINE.
Mention aussi d'un autre originaire de la Région 59/62, le chanteur Firzel, qui de temps en temps tenait le rôle de M. LOYAL, notamment à Dunkerque en 1937 aussi pour Pourtier.
 
Christian Declerck 25 avril 2025
 
programme Lille 1938 (Gallica)

 
source