les préparatifs de l'émission vu par la BBC
La B.B.C. vient à Calais
La jeune téléphoniste suivit Charly Yorel dans de très nombreux concerts donnés dans la région et même au delà. Puis un jour, la B.B.C. traversa le Détroit avec tout son matériel, pour faire un reportage sur Calais. Il s'agissait plutôt d'une série de courts reportages qui allait permettre à la télévision britannique d'évoquer le Calais sportif, commercial, industriel et artistiques On ne manqua pas de faire appel à Lietta, qui allait ainsi devenir une vedette remarquée des téléspectateurs britanniques. l'un d'eux, et non des moindres, sir Eric Fauwcette, metteur en scène à la B.B.C. télévisionna le reportage sur Calais. Il entendit et vit Lietta qui le bouleversa au plus haut point.
Ce technicien du grand service anglais n'avait pas encore fixé son choix sur la chanteuse qui devait figurer dans le programme du Salon de la Télévision. Celui-ci devait s'ouvrir dans les jours suivants. Il avait, auparavant, pensé faire passer Edith Piaf dans son tour de chant. L'audition et la vision de Lietta Freckal modifia son projet primitif. Il téléphona le lendemain à Calais et fit à la jeune artiste une proposition très intéressante pour passer à la B.B.C. […] Lietta interpréta une demi-douzaine de chansons dont La vie en rose, succès dont les Britanniques sont aussi friands que des fantaisies sur Carmen. Son succès fut entier. Le lendemain Le Ciros, grand cabaret de Londres, offrait à la jeune Calaisienne un engagement de trois mois pour lequel il proposait 1.200.000 francs. Elle devait passer tous les soirs dans un tour de chant réaliste. Lietta n'accepta pas. […]"
photo de presse, collection personnelle
Témoignage de sa fille Martine Courtin-Deguines (juillet 2016)
Sa première prestation publique, elle l'avait faite en 1947, lors de la grève chez Brampton. Il y a eu une photo prise de haut, où on la voit chanter en robe à fleurs, avec les grévistes assis par terre. Elle a aussi participé à quelques revues avec André Culié, juste après la guerre, plutôt des petits rôles, et elle a toujours refusé de jouer la Zabel de la revue de Boulogne sur Mer montée par Jean Jarett. Mon père ne voulait pas, il disait qu'elle allait se dévaloriser.
Ma mère a été choisie pour représenter la France pour la première liaison Eurovision Grande Bretagne - Continent en 1950. Elle avait 22 ans. A la suite de ce passage (elle avait chanté La Vie en Rose) les Anglais ont envoyé une avalanche de lettres à la BBC pour savoir qui était cette jeune femme qui chantait si bien, et qui n'était pas vulgaire comme Piaf (authentique ! c'est ce qui ressortait de la plupart de ces courriers). Un certain Picket-Wilkes (que j'ai connu, il est venu souvent à la maison avec son épouse et il devait être un peu amoureux de ma mère) qui était quelque chose comme directeur des programmes de variétés à la BBC, il l'a fait revenir. Elle a chanté à nouveau La Vie en Rose, partiellement en Anglais, cette fois, et la BBC lui a offert un contrat d'exclusivité, ce qui n'était pas rien à l'époque. Il fallait venir s'établir en Angleterre, et ma mère a refusé (sous la pression de mon père, je le sais, qui avait peur de l'aventure).
Studio BBC Radio, La Semaine du Nord, février 1955
photo Roger Tollens
collection personelle
A l'époque, ils étaient fonctionnaires tous les deux, et la sécurité lui importait plus qu'une hypothétique carrière artistique. Ils avaient connu la guerre (mon père, refractaire au STO, a vécu caché pendant deux ans) et ses privations (ma mère était réfugiée dans l'Est avec ses soeurs et sa mère, mon grand-père, sapeur-pompier, étant réquisitionné à Calais et elles ont eu faim), ceci peut expliquer cela. Elle a continué les concerts en France, tout en gardant son emploi au central téléphonique de Calais. En 1955, pour fêter les 5 ans de l'Eurovision, la BBC avait invité tous les protagonistes de la première émission. Elle a été à nouveau conviée à la BBC, mais pour un passage assez bref, qui a, à nouveau, donné lieu à des demandes importantes de la part du public. Re-proposition de contrat, un vrai pont d'or me semble-t-il. Là, elle a nouveau refusé. Tout comme elle a refusé d'être mutée à Strasbourg, où les PTT lui avaient proposé un poste aménagé et se proposaient de sponsoriser sa carrière. Oui, ça, c'est exact, même si ça parait amusant et incroyable. Là encore, refus de mon père. Et fin de l'espoir d'une carrière internationale, et même d'une carrière tout court.
Car, entretemps, il y avait l'imprésario de Piaf qui intervenait régulièrement pour empêcher la parution des articles la concernant en France.
Elle a continué de chanter dans des galas régionaux, et en aussi en Normandie, tout en continuant de travailler aux PTT. Les tournées d'été La Voix du Nord, Kermesses de la bière à Maubeuge, premières parties d'artistes parisiens venus se produire dans le Nord.
Des souvenirs
Souvenir des paroles des chansons que ma mère affichait sur le papier peint de la cuisine pour les apprendre (mon père et moi en savions aussi long qu'elle à force !) des chansons apprises et répétées sur le vieux Gaveau du salon, ma mère sérieuse, concentrée, qui "sentait" du premier jet paroles et musique en même temps, et qui n'en variait pas. Si elle n'aimait pas, ne sentait pas une chanson, elle ne la prenait pas à son répertoire. Et mon père qui s'arrachait les cheveux, parce qu'il fallait transposer les chansons à cause de la tessiture de ma mère, qui chantait dans un ton pas possible. On s'y collait le jeudi après-midi, à recopier les chansons transposées, lui et moi (j'étudiais le piano, ça me faisait un bon exercice) Il y avait une foule de documents dans une valise (coupures de presse, photos, affiches etc.) chez mes parents. Mais quand mon père a mis en vente la maison, il a passé une semaine à brûler des tas de choses, dont tout ce qui avait trait à la carrière de ma mère, y compris ses dernières robes de scène et d'innombrables photos et souvenirs personnels et professionnels. Je n'ai pas récupéré grand chose. Je suppose qu'il voulait que tout cela disparaisse avec eux. Sur la fin, il était un peu spécial, mais bon, c'est ce qu'il voulait.
J'ai en tête d'innombrables anecdotes sur cette tranche de vie. C'est drôle, de vous écrire tout ça, plein de choses me reviennent en mémoire. Mon père lui a fait arrêter la chanson en 1968, en disant à ses deux impressari (Jean-Pierre Panir et Bertal) qu'elle n'était pas disponible pour les dates proposées. Ils ont fini par ne plus appeler. Il considérait qu'à 42 ans, avec une fille mariée, elle avait passé l'âge de se produire en public. Très entre nous, je considère que mon père a brisé sa carrière. D'ailleurs, ma mère le lui a souvent reproché. Je crois qu'il se savait moins talentueux qu'elle et avait peur de la perdre. Ma mère était très belle et chantait réellement merveilleusement bien.
Elle avait un talent fou et savait ce qu'elle voulait, malheureusement, elle appartenait à cette générations de femmes dont le mari gère la vie, et elle n'a pas su (ou pas voulu) s'imposer.
Je l'ai vue (et pas qu'une fois) entrer en scène dans une salle houleuse (Kermesse de la Bière à Maubeuge, Salle des Fêtes à Bucaille, près de Boulogne) où tous les artistes refusaient d'aller chanter, et retourner le public dès sa première chanson. On n'entendait pas une mouche voler, et pourtant, c'étaient des public difficiles. Elle arrivait à les faire taire, à l'écouter, et ils lui faisaient une ovation. Ça, je l'ai vu à chaque fois. Elle avait un vrai talent, un vrai charisme.
D’autres souvenirs
Quant à mon père [Pierre Deguines (1922-2011)] il était instituteur, mais également l'accompagnateur au piano de ma mère. Il a travaillé dans l'orchestre de Jo Bouillon, avec Joséphine Baker et il a crée l'orchestre Blue Melody (c'est comme ça qu'il a rencontré ma mère en 1948). Puis, il a dirigé l'orchestre du casino de Calais pendant de nombreuses années, après avoir animé le cabaret l'Oasis, juste en face du Casino.
Pierre Deguines (à gauche) et Lietta Freckal
studio BBC Radio
collection personnelle
Charly Yorel (de son vrai nom Charles Leroy), je l'ai très bien connu. Je l'aimais beaucoup. C'était un vieux garçon, mais il adorait les enfants, et il me fabriquait toutes sortes de petits objets rigolos et de très beaux dessins, ce pourquoi il était très doué. Il était calme et très pince sans rire. Impossible, à le voir, de deviner qu'il était capable de faire rire à ce point sur scène. Je le compare souvent à Jango Edwards, c'était le même genre de risque tout que rien ne démontait.
collection personnelle
On a dit qu'il s'était suicidé, mais il n'avait à ce moment, aucune raison de le faire : il avait une amie et ils devaient se marier. Mais c'était un bohème, un genre de professeur Tournesol, et son tuyau de gaz n'était pas sécurisé du tout. Ca a été un grand choc pour nous d'apprendre son décès. Je me souviens encore de son enterrement à Pont-de-Briques. Lui et puis Jean Jarett, qui était fantaisiste sur scène et entrepreneur des pompes funèbres le jour mais n'était jamais sérieux, même dans la vie. Je ne sais pas comment il faisait pendant les enterrements.
Et puis les clowns Gilmano et Vincetti, Jeany Stander, la présentatrice de tous ces spectacles, Nellos, agent de police hors de la scène, Emile Lamour, (nom de scène Gilbert Elmy) le ténor chéri de ces dames, André Culié, et par là-dessus, jamais bien loin, les frères ennemis du journalisme, Robert Lassus (Nord-Littoral) et Robert Chaussoy (dit File-Vite) pour la Voix du Nord. Et Ch'guss, et André Bal (devenu ensuite Tit Louis d'Peuplingues) qui jouait de la scie musicale, et ne manquait jamais de cracher dans un grand mouchoir à carreaux avant d'entrer en scène pour présenter les spectacles.
Et Serge Davri, comique complètement déjanté, qui venait souvent chez nous aussi. Lui, c'était quelque chose aussi. Quand il chantait je suis le maître à bord et se faisait sauter dans sa lessiveuse. Oh la la ! Il a répété ça souvent dans le jardin de notre maison. Ca déménageait !
Et Sacha Distel, grande vedette de l'époque, qui devait être un peu amoureux de maman (qui ne l'était pas ? Elle était si belle !) et qui la demandait toujours en première partie de ses spectacles. Après, il venait manger à la maison avant de rejoindre sa chambre au Meurice. Et j'était une petite fille très frustrée, parce que je ne pouvais pas le raconter à mes copines du lycée Sophie Berthelot ! Je l'avais fait une fois, et tout le monde s'était moqué de moi, personne ne m'avait cru. Et pourtant c'était vrai ! Sacha Distel était vraiment venu manger la veille au soir le civet de lièvre préparé par mon père. Que de souvenirs ! J'étais petite, puis adolescente, mais j'ai des images précises de tout ça, car c'étaient aussi des amis que mes parents recevaient volontiers chez eux .
Des enregistrements disparus
Ma mère a fait un disque dans les années 61-62. Il y avait 4 titres dessus (dont Ne me quitte pas, Chanson vagabonde, L'homme à la moto). La distribution de ce disque a été bloquée par Edith Piaf, qui ne faisait pas de cadeau à celles qui menaçaient de lui faire de l'ombre. Le disque n'a jamais dépassé le stade de la maquette, il n'y a même pas eu de pochette éditée. Ceci est véridique : Piaf faisait acheter les reportages réalisés sur ma mère afin qu'ils ne paraissent pas. Je me souviens de reporters de Paris-Match qui avaient passé plusieurs jours à Calais pour suivre la famille de Lietta Freckal au quotidien. Ils étaient venus à la maison, bien sûr, mais aussi à son travail, au Central Téléphonique, Boulevard Gambetta. Cet article, et beaucoup d'autres, n’ont jamais paru. J'étais petite, parce que j'avais perdu mes incisives devant, et ils m'avaient photographiée riant aux éclats, ça doit dater de 1955-1957. Elle a également fait une émission pour la télévision régionale en 1963 ou 1964. Elle y jouait le rôle d'une chanteuse de cabaret assassinée, dont un inspecteur de police tentait de trouver le meurtrier. Bien entendu, l’émission était émaillée de nombreux flash-back au cours desquels elle chantait, entre autres chansons, La Mama.
Quant aux bandes-son de concert, il n'y en a jamais eu, ma mère refusait qu'on l'enregistre. Si, peut-être une seule : une bande a été enregistrée lors d'une fête du 1er Mai au Parc Municipal de Calais. Je m'en souviens, parce que Robert Damien, batteur de l'orchestre Blue Melody, avait joué ce jour-là et il avait été tué le lendemain en démontant le podium. Il était électricien à la ville de Calais et c'était le cousin germain de maman, qui avait été élevée avec lui et qui avait été très choquée de cet accident. Je crois que c'était en 1958-1959. Il était le mari de Monique Damien, devenue ensuite Monique Dupont, et le père d'Eric Sprogis et d'Alain Damien qui ont tous deux dirigé le Conservatoire de musique de Calais. Une bande magnétique avait été réalisée, et mes parents en avaient eu une copie. J'ignore qui a conservé les autres copies et l'original.
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